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Nicolas Hulot : "Raoni me rappelle Mandela" - interview exclusive, partie 1/2

Nicolas Hulot :

Ex-animateur de la célèbre émission de TF1 Ushuaïa, Nicolas Hulot semblait au départ bien parti pour remporter les primaires d'Europe Ecologie-Les Verts. Mais malgré des sondages le donnant largement vainqueur, le candidat a échappé de peu à l'élimination dès le premier tour. Quel rapport avec les thèmes qui nous préoccupent ? D'après le principal intéressé, Raoni lui-même ne serait pas étranger à sa décision de se jeter dans le bain politique.

Nicolas Hulot n’a en effet eu de cesse de répéter dans les médias ces derniers temps que Raoni, charismatique Chef des Kayapos, était pour beaucoup dans son engagement politique et sa décision de se présenter à l’élection présidentielle de 2012 : « Le dernier voyage que j’ai effectué fut en Amazonie et c’est ce qui a achevé de me convaincre que je devais me lancer dans la présidentielle. J’ai passé quinze jours avec Raoni et les indiens Kayapos, nous avons parlé sans cesse de ce barrage contre lequel ils se battaient. J’ai dormi, pêché avec eux, ils me disaient : 'Fais ce que tu peux, bats-toi pour nous. »

Comme vous pourrez le lire dans la première partie de cette interview exclusive qu'il nous a accordé, le candidat Nicolas Hulot, signataire de sa pétition, fait montre d'une grande admiration pour le Chef Raoni, qu’il compare à Nelson Mandela, pour des raisons que nous vous laissons découvrir. Il s'intéresse aussi beaucoup au cas particulier du fameux projet de complexe de barrages de Belo Monte, qui menace directement l’avenir du Chef Raoni et des peuples indigènes du Rio Xingu. S'exprimant sur le sujet début juin dans la presse, il a fait part de sa colère en apprenant l’autorisation définitive délivrée par un organisme gouvernemental brésilien : « la construction de ce barrage est un coup fatal pour eux, ça me rend fou. L’Histoire se répète, tout ce qu’on a fait subir à cette civilisation indienne n’a pas suffi ».

Dans un récent article du JDD, Nicolas Hulot avouait se sentir impuissant face aux forces actuellement à l'œuvre dans le projet Belo Monte, ce qui ne l'empêchait pas d'affirmer au cours du même entretien : « si je suis candidat à la présidentielle en 2012, j’irai au Brésil, je martèlerai que la construction de ce barrage est un préjudice irréversible. » Espérons que cette promesse sera mise à exécution, quel que soit le ou la gagnant(e) de la primaire d'Europe Ecologie-Les Verts... et que les autres représentants de la diversité politique française sauront prendre leurs responsabilité sur le sujet.

 


 

Bonjour Nicolas Hulot. Quand et par quel biais avez- vous commencé à vous intéresser à la forêt amazonienne ? J’imagine que c’était bien avant Ushuaia ?
Oui. Enfin disons que ça a achevé de me convaincre en grandeur nature. Quand on voit physiquement et visuellement les choses, ca prend évidemment une autre dimension que de simples énoncés dans des livres, des rapports ou des expertises. Effectivement, j’ai eu plusieurs occasions de me rendre sur place par mon ancienne activité professionnelle. On peut y aller sous divers angles : on peut regarder ça sous l’angle de la biodiversité, sous celui des changements climatiques, ou encore sous celui du territoire des indiens, mais enfin tout ça se cumule et fait qu’à un moment ou un autre cela devient une espèce de démonstration un peu écœurante de l’échelle dans laquelle on est en terme de destruction et de folie humaine.

Quel a été votre premier contact réel avec le poumon vert de la planète ?
J’ai du mal a ordonner chronologiquement mes souvenirs tellement mes visites ont été nombreuses. Les premières visites que j'ai faites c'était peut-être par la Guyane française. C’est la première fois que j’ai fait des incursions dans la forêt amazonienne, ce qui m'a permis de réaliser que la France est le seul état de l’Union Européenne qui administre une fraction de la forêt amazonienne. Curieusement, c’était la seule fraction de la forêt qui n’avait pas le statut de parc à l’époque, et je me suis rendu compte qu’on était en France assez champion pour donner des leçons à tout le monde, mais que nous-mêmes ne lui avions pas donné de statut particulier. C’était il y a presque un quart de siècle. J’avais découvert à cette occasion cette espèce d'incurie qu’il y avait en forêt guyanaise, un territoire que l'on avait un peu abandonné.

Par la suite je suis retourné en forêt amazonienne côtés brésilien, péruvien, équatorien et j'y ai trouvé à chaque fois des problématiques locales : soit la forêt est menacée par différents types d’exploitation (énergies fossiles, minerais en tous genres, bois précieux), soit les territoires sont occupés pour des raisons sociales ou économiques... toutes ces raisons, bonnes ou mauvaises, se cumulent et font que dès que la forêt est protégée d’un côté, elle est de nouveau prise d’assaut de l’autre.

Je dirais que l’une des choses qui m’a probablement le plus marqué ces dernières années a été ma rencontre avec les indiens Zoés en territoire brésilien. Cette petite ethnie que je ne connaissais que de réputation faisait un peu figure de miracle avec sa culture indienne plus ou moins préservée, car elle avait déjà subi un premier contact avec des missionnaires dans les années 1980, avec des conséquences désastreuses. Ca donne envie de se battre, même si par moment on peut avoir la tentation du désespoir tant on a l’impression que quand on baisse notre vigilance d’un côté, la forêt est menacée de l'autre. Alors que c’est un enjeu planétaire et humanitaire, bien que les écologistes soient vus comme des empêcheurs de tourner en rond. Ce sont des gens très courageux et une cohorte d’entre eux vient de se faire assassiner au Brésil ces dernières semaines. C’est pour ça qu'il faut vraiment relativiser notre engagement, depuis chez nous : ça ne demande pas vraiment de courage physique, juste un peu d’engagement psychologique, alors qu’il y a des gens qui sont vraiment en résistance au sens héroïque du terme. Il y avait eu Chico Mendes autrefois et en réalité des Chico Mendes il y en a malheureusement tous les jours en ce moment.

Les Zoés, c'est bien cette tribu dont les membres portent un labret tubulaire dans la lèvre inférieure ?
Oui, ceux qui sourient, ceux qui sifflent, ceux qui règlent les conflits en chatouillant leurs congénères... C'est un petit microcosme incroyable qui pour l’instant est plutôt bien pris en charge par la FUNAI. En tout cas d’après les dernières nouvelles que j’en ai, car tout cela est tellement fragile. Après le premier contact brutal, dans les années 1980, il y avait eu dans la foulée plusieurs dizaines de victimes à cause de nos maladies. Dans les rencontres humaines que nous avons faites avec Ushuaïa, c’est probablement celle qui nous a le plus marqué. Nous ne sommes pas ressortis intacts de ce contact là. On avait l’impression de toucher une espèce de chaîne originelle de l’humanité, que tous les maux, tous les miasmes que notre société véhicule ou développe, semblaient avoir épargné. Ils avaient cette espèce d’équilibre parfait entre ce que la nature pouvait leur donner et ce dont ils pouvaient avoir besoin. Ils ignoraient en tout cas la frustration et avaient conservé un incroyable lien intergénérationnel absolument splendide. L'harmonie peut être parfois simplement subjective, mais elle était là incroyablement incarnée.

Justement, vous avez rendu visite aux peuples Korowai, Una, Asmat avec Ushuaïa. D’où vient cet intérêt personnel pour le monde tribal ? Pourquoi rendez-vous visite à ces tribus qui sont souvent isolées, protégées ?

On protège mieux ce que l’on connaît et si on ne met pas un peu en lumière ce qui se passe, des peuples, des cultures entières peuvent disparaître sans que personne n’en ait connaissance. Il y va malheureusement de la culture comme de la nature, si l’on ne provoque pas un peu de relation émotionnelle, affective, intellectuelle et philosophique avec ces tribus, on a aucune chance de provoquer une forme de mobilisation pour préserver cette diversité.
J'ai un attachement viscéral à la diversité sous toutes ses formes, d’abord parce que je trouve que la nature n’est belle que dans sa diversité, n’est riche que dans sa diversité, n’est forte et puissante que dans sa diversité, tout comme l'homme. Et aussi parce que j’ai tellement conscience de cette espèce de laminoir géant et tragique d’homogénéisation culturelle qui est en marche. C’est une uniformisation irréversible et un préjudice inestimable pour l’humanité. Cela fait maintenant presque 45 ans que je n’ai pas posé mes sacs (je viens tout juste de le faire, provisoirement) et j’ai vu des cultures entières disparaître, j’ai vu des langues disparaître, j’ai vu le dernier indien Alakaluf, j’ai vu les derniers locuteurs de langues... Pour certains c’est abstrait, moi j’ai vu cela dans la vallée de l'Omo, en Irian Jaya, en Sibérie ou au fin fond de l'Amérique du sud. Ces cultures avaient traversé des siècles et là, sous le joug incroyable du monde occidental, parfois consciemment et parfois inconsciemment, on est en train de faire disparaître ce qui semblait éternel. Face à cela, on est dans un premier temps sidéré, on n'y croit pas, dans un deuxième temps on est abasourdi et dans un troisième temps le désespoir se transforme en engagement... et chacun fait avec ce qu’il a.

Comme beaucoup avez-vous découvert Raoni lors de sa venue avec Sting en 1989 ?
En tous les cas cela a été ma première lecture. J’ai en mémoire cette tournée des grands du monde, grâce à l’intervention de Sting. C’est pour ça d’ailleurs que je n’ai pas d’état d’âme : certains utilisent leur notoriété au service de causes, ça en chagrine peut-être, mais en ce qui me concerne, je pense que c’est très utile. Sans ce qu’a fait Sting à l’époque avec Dutilleux, Raoni n’aurait probablement pas le rayonnement qu’il a aujourd’hui. Ca n’a pas tout réglé, mais en tout cas cela lui a donné une audience qu’il n’aurait pas eue. Et je me souviens effectivement très bien de cela.

Qu'aviez vous pensé de l’homme, du combat, de la cause qu’il défendait, du courage d’ailleurs qu’il lui fallait pour venir dans notre monde ?
Raoni fait partie de ces figures emblématiques de notre imaginaire, des gens que l’on respecte. Je ne pouvais pas imaginer que je pourrais un jour le rencontrer, plusieurs décennies après, dans son propre village, que cela me toucherait autant et que cela aurait autant d’importance dans l’engagement qui est le mien aujourd’hui. Il ne saura jamais... et peu de gens sauront combien ma rencontre avec Raoni, que j’avais dans ma mémoire comme une espèce d’esprit, de cristal, et en même temps comme un grand homme, a été déterminante à un moment où moi-même j’hésitais à franchir le pas d’un engagement plus prononcé, combien je me suis senti obligé de faire quelque chose. Parce que je suis conscient aussi que, souvent sans le savoir, nos propres politiques ici en Europe peuvent être destructrices pour le territoire des indiens, et au-delà, pour un patrimoine commun. Et c’est vrai que je mets souvent en parallèle ma rencontre avec Raoni avec celle que j’ai eue avec Mandela. Il y a la même pâte humaine derrière. Ils ont quelque chose de commun dans le regard, une vérité, une authenticité, un espoir et un désespoir mêlés. Une détresse aussi.

On peut en effet voir une symbolique forte au fait que vous boucliez l'aventure Ushuaïa par un dernier voyage auprès d'un homme extrêmement engagé, au moment où vous franchissez le pas de la politique.
Pour être tout à fait sincère c'est un pur hasard. Pour des raisons de calendrier quelque peu hasardeux, on a terminé par l'Amazonie alors qu'on aurait pu le faire il y a un an ou programmer ce tournage six mois après, auquel cas il n'aurait finalement pas eu lieu. C'est une jolie coïncidence et en effet, le dernier endroit où j'ai été, après 25 ans d'Ushuaïa, c'est le village de Raoni. Le dernier vol que j'ai fait avec un mini hydravion c'était avec lui à mes côtés. Je reverrai toujours, quand on a décollé devant son village avec ce petit engin improbable, combien ses yeux se sont émerveillés dès qu'on a pu s'élever au dessus des flots et repasser au dessus de son village avec tout son peuple qui lui faisait des grands signes des bras. Ensuite il m'a montré ses terres. C'était des instants uniques, qui reviendront à mon esprit quand je citerai plus tard des rencontres ou des moments de vie qui m'ont marqué. Et c'est clair que mes états d'âme, mes hésitations sur mon engagement politique, qui ne faisait pas du tout partie de mon logiciel et que tout mon égoïsme poussait à ne pas prendre, ont été balayés en brèche par cette rencontre.

Je crois que depuis l'avion Raoni a tenu à vous montrer les terres indigènes (zone dite de Kapot Nhinore) qu'il cherche à protéger mais ne sont pas encore démarquées, c'est bien ça ?

Oui, exactement. Il me les a montrées et puis ensuite on s'est posé. Raoni m'a alors montré le projet de son peuple sur des cartes. Les kayapos m'ont aussi donné un dossier magnifique avec des peintures réalisées par des enfants représentant ces terres qu'il veulent protéger, en espérant que je puisse faire quelque chose. Je leur ai expliqué que je pouvais promouvoir ce projet mais qu'ils m'accordaient plus de pouvoir ou de vertu que je n'avais.
Tout cela a fait partie d'un tout. J'ai dormi pendant dix jours dans une tente collée à celle de Raoni et c'était très fort, très intense pour moi de savoir qu'il était à mes côtés pendant mon sommeil.

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Texte : Gert-Peter Bruch & Noella Lefebvre
Interview : G.-P. Bruch

Date de l'article : 09/07/2011

Auteur de l'article : Gert-Peter BRUCH

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