Belo Monte :
pétition du Cacique Raoni

A ce jour 502905 signatures.

Vérifier la validité de votre signature




Actualités

Comment le peuple de la rivière Tolo en Colombie a utilisé les crédits carbone pour sauver sa forêt vierge

Comment le peuple de la rivière Tolo en Colombie a utilisé les crédits carbone pour sauver sa forêt vierge

Frazier Guisao, membre de la patrouille forestière de la rivière Tolo, à la frontière de la forêt communautaire.

Source : huffingtonpost.com / ecosystemmarketplace.com
Le peuple de la rivière Tolo en Colombie possède collectivement 16 000 hectares de forêt vierge qui nourrissent la rivière dont il dépend. Mais la propriété n’est rien sans protection. Il y a quatre ans, ils ont décidé de mettre à contribution la finance carbone pour sauver la forêt, et préserver leur mode de vie. Voici leur histoire.

Cinq jeunes hommes traversent l’épaisse végétation de la forêt, dans la région la plus septentrionale de la Colombie – forêt déjà vieille quand les conquistadors sont arrivés sur le continent il y a cinq siècles. Le silence n’est rompu que par l’eau coulant des nombreux ruisseaux découpant le paysage vallonné. Il est midi, et la chaleur est insoutenable, même pour les moustiques. Frazier Guisao, ancien bûcheron, est à l’avant de la file, tranchant les broussailles épaisses à la machette pour y creuser un tunnel. Le groupe patrouille à travers la forêt, pour la protéger de la déforestation illicite.

Les vieux arbres de cette forêt vierge sont aussi hauts que des immeubles de dix étages, dépassant largement l’épaisse canopée, et les hommes s'assoient à la racine d’un immense arbre almendro centenaire. Guisao observe le tronc et fait un rapide calcul dans sa tête.

« Ce bois vaut environ trois millions de pesos », dit-il, ce qui correspond à près de 1500 dollars américains. En tant qu’ancien exploitant forestier, il sait qu’il lui aurait fallu environ deux heures pour l’abattre à la tronçonneuse. Leur travail, aujourd’hui, est loin d’être aussi lucratif à court-terme, mais il est bien plus gratifiant.

 

Préserver la forêt ; Protéger l’avenir

Guisao et son équipe portent des T-shirts affichant « COCOMASUR » en couleurs vives, ce qui, en espagnol, signifie Communautés Noires de la Rivière Tolo et de la Côte Sud - le nom de leur petite organisation communautaire Afro-Colombienne. La Constitution accorde des titres fonciers aux populations traditionnelles forestières, et les habitants de la Rivière Tolo possèdent aujourd’hui collectivement 16 000 hectares de forêt vierge dans la région de Chocó, près de la frontière avec le Panama. Le chef de patrouille indique qu’il lui faut quatre jours pour parcourir tout le périmètre à pied.

S’ils ont besoin des patrouilles, c’est parce qu’ils ont besoin de la forêt, qui nourrit la Rivière Tolo, qui fournit à son tour à la communauté à la fois son nom et son eau potable. La forêt protège également les animaux et plantes pour les générations futures.

 

De bûcheron à garde forestier

Guisao a entamé sa transition de bûcheron exploitant la forêt à garde forestier protégeant l’ensemble de sa communauté il y a quatre ans de cela, lorsque les 1500 membres de l’organisation de la Rivière Tolo ont conjointement décidé d’affirmer leurs droits de propriété et de protéger la forêt. Cette transition n’a pour autant pas été simple, du fait des deux principales menaces touchant les arbres. L’une était externe : les riches hommes d’affaire d’une ville voisine élargissaient leurs élevages bovins. L’autre était interne : les membres de la communauté qui, comme Guisao, exploitaient la forêt et en dépendaient pour nourrir leurs familles.

Pour sauver la forêt, le peuple de la Rivière Tolo avait besoin de se sevrer de l’exploitation qui payait les factures, et de trouver un moyen de financer des patrouilles pour empêcher tout étranger de couper leurs arbres.

 

Un défi mondial

C’est un défi auquel tous les peuples forestiers du monde doivent faire face, et qui nous impacte tous. En effet, la disparition de la forêt vierge tropicale et ses conséquences sur la biodiversité et les services écosystémiques sont massives et irréversibles. Pour ne rien arranger, les émissions de carbone dues à la déforestation aggravent le problème du changement climatique – chaque année, un cinquième des émissions de carbone mondiales proviendraient d’arbres abattus, selon le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur le Changement Climatique (IPCC). Traditionnellement, il y a peu de financement pour la conservation, mais il se pourrait que ce soit en voie de changement, et le peuple de la Rivière Tolo est au premier rang de cette transformation.

 

La teneur en carbone des arbres

Dans leur forêt vierge, la teneur considérable des arbres et du sol en carbone (qui s’associe à l’oxygène pour former le gaz à effet de serre une fois relâché dans l’atmosphère) est un avantage supplémentaire pour la communauté et le reste du monde.

Heureusement pour la communauté, de nombreux gouvernements et entreprises dans le monde se proposent de financer des projets de conservation des forêts afin de compenser une partie de leurs émissions carboniques. Cette initiative internationale est le Programme de collaboration des Nations Unies sur la réduction des émissions liées au déboisement et à la dégradation des forêts dans les pays en développement (Programme ONU-REDD). Le principe est simple : une entreprise cherchant à devenir « neutre en carbone » essaierait d’abord de réduire ses propres émissions de carbone autant que possible, par des équipements à meilleur rendement énergétique et un contrôle strict de ses chaînes de fournisseurs. Toutes les émissions qu’elle n’aurait pas pu réduire seraient ensuite « compensées » en payant une communauté forestière pour protéger ses arbres de la déforestation.

 

Mesurer le Carbone

Pour mieux calculer les émissions de carbone que la communauté de la Rivière Tolo pourrait éviter d’émettre, COCOMASUR s’est associé à Anthrotect, une organisation étasunienne qui « travaille avec les communautés propriétaires dans le but d'instaurer des paiements pour des projets de services écosystémiques reliant des communautés disposant de marchés émergeants pour le carbone et la biodiversité », selon des documents enregistrés auprès du Verified Carbon Standard (VCS), programme de certification choisi par eux. Les organisations ont ensuite contacté des experts forestiers de Bogota, Medellin, et de l’État de Californie, qui ont comparé la forêt à d’autres zones forestières voisines non surveillées, et en ont conclu que près de 13 000 hectares seraient perdus à cause de l’élevage bovin, l’agriculture, et la déforestation si des initiatives défensives n’étaient pas prises immédiatement. En se fondant sur un mélange d’arbres dans la forêt et leurs hauteur et largeur moyennes, ils ont fixé le total des gaz à effet de serre émis du fait de cette destruction à 2 800 000 tonnes de CO2 sur les trente prochaines années.

COCOMASUR et ses partenaires ont ensuite commencé le difficile travail de protection des forêts par une campagne de sensibilisation sur les identités et droits collectifs, en démarquant les frontières territoriales, en établissant des patrouilles communautaires fréquentes, et en développement des pratiques agriculturales et sylvopastorales durables.

 

Vérifier les Résultats

En 2012, les auditeurs certifiés VCS ont visité le site et en ont conclu que ces actions avaient sauvé 170 000 arbres contenant près de 28 000 tonnes de carbone. Ce carbone se serait transformé en plus de 100 000 tonnes de dioxyde de carbone s’il avait été relâché dans l’atmosphère, l’équivalent de 20 000 voitures supprimées du circuit routier pendant un an. Si la première tranche a permis de couvrir le coût de lancement du projet, les prochaines ventes permettront de payer les salaires des patrouilles forestières, d’améliorer les services de santé pour la communauté, d’envoyer les jeunes à l’université, et de renforcer l’organisation de la communauté.

 

Une grande année pour la REDD

Cette année-là, les transactions ayant eu lieu sur le marché carbone volontaire représentaient un demi-million de dollars en crédits carbone, selon le Rapport sur l’État du Marché Carbone Volontaire de 2013 par Ecosystem Marketplace. Les Nations Unies mènent en outre une initiative pour rationaliser les projets REDD dans le monde en prévision d’un éventuel nouveau traité mondial sur le climat, rendant la compensation d’émissions de carbone obligatoire. Lors de la dernière Conférence sur le Climat à Varsovie en 2013, les États se sont entendus sur un mécanisme de conservation des forêts à mettre en place dans les années à venir - une grande avancée pour tous les projets de conservation à travers le monde.

 

Le Dilemme de l’Innovateur

Lorsque le peuple de la Rivière Tolo a entamé son projet, la REDD était encore un mécanisme incompris, et le VCS encore inutilisé. Les sceptiques semblaient peu convaincus de la capacité du label à la fois à fournir la rigueur environnementale promise, et à repousser les « cowboys du carbone » dont ils craignaient qu’ils fassent fi des peuples indigènes que la REDD avait pour but de protéger.

Quoi qu’il en soit, le peuple de la Rivière Tolo était déterminé à réussir et l’est encore aujourd’hui : « notre communauté continuera toujours d’essayer de protéger notre forêt, avec ou sans ce projet. Le projet nous donne néanmoins les fonds pour le faire », explique leur leader Aurelio Córdoba.

Il est crucial d’apprendre de ses erreurs et de chercher des exemples réussis – pour le bien de la forêt, de ceux qui y vivent, et du climat mondial. C’est ici le cas d’une communauté qui a trouvé le moyen d’y parvenir.


© huffingtonpost.com / ecosystemmarketplace.com  - traduit par Camille Guibal / article original

Date de l'article : 18/05/2015

Retour