Belo Monte :
pétition du Cacique Raoni

A ce jour 502905 signatures.

Vérifier la validité de votre signature




Actualités

Le rôle de l’Amérique latine à la COP20: Réflexions et perspectives pour 2015

Le rôle de l’Amérique latine à la COP20: Réflexions et perspectives pour 2015

Manuel Pulgar-Vidal, ministre péruvien de l’environnement et président de la COP20 - © IISD (International Institute of Sustainable Development)

Source : Brookings.edu
La Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP 20), qui s’est tenue à Lima en décembre dernier, doit ses avancées au rôle décisif des pays d’Amérique latine dans les négociations. Globalement considérée comme une réussite, la Conférence sur le climat a néanmoins donné des résultats mitigés.

Le Pérou, pays hôte de la COP 20, a réalisé un véritable tour de force en parvenant in extremis à un accord deux jours après la fin officielle des débats.

La phase finale des négociations se déroulera lors de la Conférence sur le climat qui se tiendra à Paris en décembre prochain, où les pays devront négocier un nouvel accord qui devrait entrer en vigueur dès 2020. L'Appel de Lima pour l'Action sur le Climat représente un pas dans la bonne direction, mais de nombreuses décisions difficiles doivent encore être prises.

Comme l'explique Michael Jacobs, même si l'accord de Lima ne va pas suffisamment loin, il parvient à atteindre ses principaux objectifs en plus de représenter un tournant décisif dans la lutte mondiale contre le changement climatique. Cette réunion avait pour objectif premier d'aboutir à un texte qui servirait de document de base pour les négociations de Paris. Ce document contient les solutions que les pays souhaitent retrouver dans l'accord final. Toutefois, ce texte est loin d’être définitif et sa teneur sera au menu des discussions de cette année.

Le second objectif de cette conférence était de parvenir à un accord sur les modalités de préparation et de soumission des engagements nationaux des pays (intitulées « Contributions prévues, déterminées au niveau national », CPDN ou INDC pour Intended Nationally Determined Contribution en anglais), qui devront préciser les mesures envisagées pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

La grande nouveauté de cette conférence est la prise d’engagement de tous les pays en faveur de la réduction de leurs émissions, en fonction « des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives dans le contexte des circonstances nationales des pays ». Cette formulation abstraite est en réalité bien pesée. En effet, elle réussit à concilier la tradition et la nouveauté en déclarant que les pays développés doivent être les premiers à réduire leurs émissions même si tous les pays devront prendre des mesures dans ce sens (selon leurs circonstances nationales). Il s’agit là d’un tournant important dans la mesure où, auparavant, seuls les pays développés devaient se conformer aux obligations contraignantes tandis que les pays en développement étaient uniquement invités à apporter leurs contributions de façon volontaire.

Différents pays (d’Amérique latine et d’autres régions du monde) avaient prôné ce changement depuis un certain temps arguant que tous les pays devaient agir en fonction de leurs responsabilités différenciées et de leurs capacités. Rien d’étonnant à ce que ce changement se soit opéré dans l’un des pays ayant défendu cette position.

Sous la houlette du ministre péruvien de l’Environnement, Manuel Pulgar-Vidal, la présidence péruvienne de la COP 20 a été largement remerciée pour son dévouement et l’excellent travail qu’elle a effectué pour assurer le succès de cette conférence. La délégation du Pérou s’est activement engagée tout au long de la préparation et du déroulement de la conférence. Malgré ses résultats mitigés et son empreinte carbone inégalée, la COP 20 s’est achevée sur une victoire diplomatique pour le Pérou. 


Pleins feux sur l’Amérique latine

La conférence de Lima a également été marquée par l’organisation de nombreuses manifestations portant sur le thème de l’Amérique latine, à la fois sur les lieux des négociations et dans toute la ville. Bien entendu, le cadre de la COP explique le nombre de manifestations portant sur ce thème, mais il était impressionnant de voir la diversité et la qualité de ces événements révélant une mobilisation accrue de la communauté latino-américaine face au climat. La conférence a fait état de perspectives encourageantes pour la région :

  • Huit pays latino-américains (Mexique, Pérou, Colombie, Guatemala, Équateur, Salvador, Chili et Costa Rica) ont fait part de leur projet de replanter 20 millions d’hectares de forêt d’ici 2020 ;
  • Le Chili a lancé son Programme d’adaptation national ;
  • Le rapport sur l’Économie du changement climatique au Pérou a été publié ;
  • Le Costa Rica a transmis sa Troisième Communication Nationale à la CCNUCC ;
  • Quatre pays d’Amérique latine se sont engagés à apporter leur contribution au Fonds Vert pour le climat. Le Panama a promis de consacrer 1 million de dollars avant le début de la COP, tandis que le Pérou (6 millions), la Colombie (6 millions) et le Mexique (10 millions) ont annoncé leur promesse de contribution à Lima ;
  • Le Pérou a obtenu 11,14 millions de dollars pour son programme de transport urbain de la part du mécanisme anglo-allemand MAAN (Mesures d’atténuation appropriées au niveau national) ;
  • La Banque interaméricaine de développement a annoncé l’octroi d’un ensemble de prêts d’un montant de 750 millions de dollars pour la construction du métro de Lima.

Les paragraphes suivants contiennent quelques réflexions sur les politiques climatiques établies en Amérique latine au regard des événements de Lima et des perspectives pour 2015. Ces parties abordent le ralentissement économique observé dans la région, les initiatives prises en dehors des discussions des Nations Unies sur le climat, le rôle des CPDN, la participation de la société civile à Lima et le rôle important des discussions au sujet de la coopération régionale dans le domaine du changement climatique. Enfin, plusieurs observations concluront cet exposé. 


L’importance des politiques de réduction des émissions de carbone malgré le ralentissement de l’économie

Au cours de la dernière décennie, les économies d’Amérique latine ont connu un essor considérable avec un taux de croissance annuel moyen de 5 % environ. Le prix élevé des matières premières latino-américaines, fixé par la demande chinoise, figurait parmi les principaux facteurs de cette croissance. Aujourd’hui, la période de grâce semble toucher à sa fin. Les estimations et les prévisions économiques pour 2014 et 2015 offrent un dur retour à la réalité. En 2014, les économies d’Amérique latine ont connu un taux de croissance de seulement 1,3 % et les prévisions de croissance pour cette année ne semblent guère plus encourageantes avec un taux de 2,2 %, selon les estimations du FMI et de la Banque mondiale. Selon The Economist, les prix des matières premières sont revenus à leur plus bas niveau depuis la récession mondiale de 2009 en raison du ralentissement de la croissance chinoise. Le recul des prix pétroliers a mis à mal les pays exportateurs de pétrole d’Amérique latine, alors que les pays importateurs de la région ont bénéficié de cette baisse.

Les perspectives économiques préoccupantes pour l’Amérique latine en 2015 offrent en réalité des opportunités utiles qui permettent à ces pays d’encourager l’instauration de politiques de réduction des émissions de carbone pour favoriser leur prospérité, et de remettre en cause le discours périmé affirmant que les politiques climatiques constituent un frein au développement.

Ces prévisions modestes représentent un défi pour les ministères de l’environnement qui subissent de fortes contraintes budgétaires et, plus généralement, pour les programmes écologiques et climatiques. En effet, certains craignent que la question du changement climatique disparaisse des priorités nationales à un moment où elle a précisément besoin d’être sur la table des dirigeants. Des lois et des politiques innovantes en matière de climat et d’environnement existent actuellement dans la région et il est crucial de veiller à ce qu’elles ne soient pas sacrifiées au nom de l’amélioration de la croissance économique à court terme.

Les perspectives économiques préoccupantes pour l’Amérique latine en 2015 offrent en réalité des opportunités utiles qui permettent à ces pays d’encourager l’instauration de politiques de réduction des émissions de carbone pour favoriser leur prospérité, et de remettre en cause le discours périmé affirmant que les politiques climatiques constituent un frein au développement. Il convient d’accorder la priorité à des politiques responsables, notamment à la réduction et la suppression du subventionnement des combustibles fossiles, l’amélioration de l’efficacité énergétique et le déploiement de sources d’énergies renouvelables. Ces mesures peuvent entraîner des effets bénéfiques additionnels, tels que la diminution de la pollution atmosphérique urbaine, la réduction des risques pour la santé et des coûts qu’ils entraînent, et l’amélioration de la productivité et de l’innovation.

 

Agir en dehors du cadre des discussions de la CCNUCC

Les observateurs des négociations sur le climat des Nations Unies ont parfois l’impression que les glaciers andins fondent plus vite que les progrès réalisés dans la salle des discussions. La CCNUCC est une entité unique et frustrante qui agit parfois comme si elle était insensible aux changements qui se produisent. Il est par conséquent primordial de prendre des mesures pour le climat à travers d’autres instances afin de réaliser de réels progrès qui, à leur tour, pourront avoir un effet positif sur les négociations.

Contrairement à la situation passée où la région était étroitement liée à une seule puissance coloniale ou néocoloniale, les pays d’Amérique latine entretiennent aujourd’hui des relations diversifiées avec un large éventail d’acteurs internationaux. En 2015, la région participera à des sommets aux côtés de la Chine, des États-Unis et de l’Union européenne. Début janvier, la première réunion ministérielle du Forum Chine-CELAC (Communauté des États latino-américains et des Caraïbes) se tiendra à Beijing. En avril, le Panama accueillera le 7e Sommet des Amériques et en juin, Bruxelles organisera le 2e Sommet UE-CELAC.

Ces rencontres sont importantes pour deux raisons. Premièrement, compte tenu de l’échéance de décembre 2015 pour entériner un nouvel accord sur le climat, ces sommets sont des espaces uniques de coopération permettant d’établir une relation de confiance entre les pays. Deuxièmement, si l’on tient compte des relations commerciales étroites entre les pays d’Amérique latine et les États-Unis, l’Union européenne et la Chine, ces sommets doivent s’efforcer de réduire au maximum l’empreinte carbone et environnementale grandissante de ces partenariats établis autour de l’exploitation des produits miniers et des énergies fossiles, tout en optimisant les possibilités de réduction des émissions de carbone, notamment en profitant des sources d’énergies renouvelables et en favorisant le transport à faibles émissions dans la région.

L’Amérique latine est la région la plus urbanisée du monde, avec 80 % de la population qui vit en ville. Selon plusieurs sondages, les citoyens de la région se disent préoccupés par les changements climatiques. Étant donné le grand nombre de villes de la côte menacées par l’élévation du niveau de la mer, ou celles qui connaissent des pénuries d’eau à cause de la fonte des glaciers et des inondations, ces villes sont très vulnérables face aux changements climatiques. Les villes d’Amérique latine sont également une source considérable d’émissions de gaz à effet de serre, provenant principalement des transports, de l’énergie, des bâtiments et des déchets.

Le lien entre le taux élevé de motorisation individuelle, les émissions croissantes liées au transport et la mauvaise qualité de l’air représente un enjeu majeur. Dans la région, les villes s’efforcent de réduire leurs émissions et de s’adapter aux effets du changement climatique tout en essayant d’améliorer la vie de leurs citoyens. Ces mesures se traduisent par l’adoption d’un Plan d’action pour le climat à Quito et d’un Plan vert à Mexico. Comme le souligne le rapport sur la Nouvelle Économie climatique, une meilleure planification et un vaste réseau de transport public peuvent entraîner la création de villes dynamiques sur le plan économique, plus résilientes et plus saines. Même si les villes ne sont peut-être pas en mesure de s’asseoir à la table des négociations des Nations Unies, elles constituent des espaces vitaux d’exercice de pouvoir et d’innovation et représentent encore largement un champ d’action inexploité.

Les projets de loi sur le changement climatique sont des instruments essentiels qui permettent aux pays d’Amérique latine de mettre en place des solutions plus démocratiques pour lutter contre le changement climatique, tout en prenant des initiatives pour le climat et en envoyant des signaux forts au secteur privé. Comme l’affirmait récemment l’ex-président chilien Ricardo Lagos, il convient de lancer une campagne législative coordonnée pour favoriser le développement durable dans la région. Après la période électorale agitée de 2014, les nouveaux gouvernements de Colombie, du Costa Rica, d’Uruguay, du Brésil et de Bolivie doivent travailler avec les autres partis politiques et la société civile pour faire avancer la législation sur le climat. Il ne s’agit pas d’élaborer des législations pour le simple plaisir de légiférer, mais d’établir un cadre juridique qui permettra aux pays de devenir des économies prospères, résilientes et à faibles émissions.

 

Le rôle des CPDN

Un accord important a été conclu lors de la conférence de Lima au sujet des Contributions prévues, déterminées au niveau national (CPDN), qui représentent les engagements des pays concernant la réduction de leurs émissions, leur adaptation aux effets du changement climatique et le soutien des initiatives des pays en développement par le biais du financement, de l’assistance et du transfert de technologie. Les CPDN occuperont une place centrale dans l’élaboration d’un nouvel accord et permettront aux pays d’établir leur plan d’action national sur le changement climatique qu’ils soumettront en mars. Selon l’Institut des ressources mondiales, les CPDN allient une approche ascendante (les pays proposent les contributions qu’elles peuvent apporter en fonction de leurs priorités, circonstances et capacités nationales) à une approche descendante (les pays visent à réduire les émissions mondiales pour limiter l’augmentation de la température moyenne au niveau mondial à 2 °C). Dans la mesure où les CPDN abordent de vastes problèmes tels que la réduction des émissions et les mesures d’adaptation, des changements considérables pourraient s’opérer dans tous les pays, notamment dans les secteurs à fortes émissions de carbone. Ces contributions en faveur du climat pourraient être associées aux objectifs de réduction de la pauvreté et des inégalités, tout en encourageant le secteur privé à investir dans ces solutions.

La coordination et l’évaluation des CPDN pourraient constituer un processus de transformation visant à intensifier les actions pour le climat dès 2020 et à enregistrer des avancées dans ce sens. Comme l’affirmait à Lima la Secrétaire exécutive de la CCNUCC Christiana Figueres, les CPDN constituent une excellente opportunité d’envisager un avenir à faibles émissions de carbone. Un grand nombre de pays d’Amérique latine se sont déjà engagés à réduire leurs émissions avant 2020, ce qui est un bon début. Le succès de la mise en œuvre de ces politiques d’ici 2020 est cruciale pour créer les bonnes conditions afin de fixer des objectifs ambitieux lors du prochain cycle de changements, qui seront probablement négociés tous les cinq ans. Par conséquent, les CPDN peuvent représenter un outil indispensable pour harmoniser les politiques d’ici 2020 et au-delà et rapprocher les négociations isolées et parfois abstraites des Nations Unies sur le climat aux décisions prises par les pays sur ce sujet. En outre, les CPDN pourraient permettre de resserrer la coopération entre les pays d’Amérique latine, dans la mesure où certains pays partagent certaines caractéristiques, notamment en ce qui concerne leurs sources d’émissions et leur vulnérabilité face aux effets du changement climatique.

Cependant, le succès des CPDN dépend de l’organisation de consultations publiques afin d’ouvrir le débat sur le changement climatique à la société latino-américaine. La décision du Chili de lancer une consultation publique à l’appui de ses CPDN le 17 décembre (ouverte jusqu’au 31 mars) représente une démarche louable. L’objectif premier est de recueillir les observations et les propositions de toutes les composantes de la société, notamment la société civile, le milieu universitaire et le secteur privé, afin d’améliorer les CPDN proposées par le Chili. Une fois achevées, les contributions du Chili seront soumises au Conseil des ministres du développement durable et du changement climatique puis transmises à la CCNUCC d’ici la fin du mois de juin 2015. D’autres pays d’Amérique latine et du monde devraient suivre cet exemple encourageant. 

 

La société civile latino-américaine s’affirme à Lima

Le nombre de manifestations et de rassemblements organisés à Lima pendant la COP20, tant au sein qu’en dehors des négociations, était ahurissant. La diversité et la qualité des événements portant sur le thème de l’Amérique latine étaient sans précédent dans la longue série de COP qui ont eu lieu, y compris lors de la COP16 de Cancún au Mexique, et reflètent l’importante mobilisation de la société latino-américaine face au climat.

Le 10 décembre dernier, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées dans les rues polluées de Lima pour participer à la Marche mondiale en défense de la Terre Mère. Cette marche a rassemblé 15 000 personnes, ce qui en fait la mobilisation pour la justice climatique la plus importante que l’Amérique latine ait connu. Mouvements indigènes, syndicats, organisations féminines, étudiants et militants du monde entier se sont réunis pour appeler à l’action pour lutter contre le changement climatique, mais aussi pour protéger les militants écologistes de la région qui sont victimes de harcèlement et d’actes de violence.

Pendant 12 jours, l’espace « Voix pour le climat » ouvert par le gouvernement péruvien a accueilli près de 80 000 visiteurs. Cet espace visait à présenter au public les propositions et les initiatives sur les cinq questions majeures abordées par la politique climatique du Pérou : les forêts, les montagnes et l’eau, les océans, l’énergie et les villes durables.

Dans les coulisses, l’équipe de la présidence péruvienne de la COP20 nouait avec la société civile un dialogue dynamique en préparation de la conférence. Cela n’a rien de surprenant, étant donné que le président de la COP20 Manuel Pulgar-Vidal dirigeait l’une des principales organisations de défense de l’environnement du Pérou, la Société péruvienne de droit de l’environnement (Sociedad Peruana de Derecho Ambiental, en espagnol). Néanmoins, cette situation est significative de la façon dont des acteurs non-étatiques travaillent avec le gouvernement et de la façon dont certains gouvernements sollicitent à leur tour leur contribution et leur soutien. Pendant la COP, la délégation mexicaine a invité des organisations de la société civile à participer à une réunion d’information consacrée aux négociations et à la participation du Mexique. Cette réunion, à laquelle ont participé près de 30 représentants de la société civile et la majorité de la délégation mexicaine, fut un exercice utile pour encourager le dialogue et la transparence.

Parallèlement à ces exemples encourageants, des événements ont mis en lumière les dangers et les difficultés auxquels font face les organisations de la société civile et les citoyens travaillant sur les questions du changement climatique et de l’environnement dans son ensemble. Pendant la COP20, les femmes de chefs indigènes assassinés ont organisé une manifestation et une conférence de presse pour demander justice et appeler le gouvernement à prendre davantage de mesures pour protéger leurs terres. Selon The Guardian, Edwin Chota, militant de la lutte contre le trafic de bois d’œuvre, et trois autres chefs Ashéninka ont été tués au Pérou en septembre dernier sur des terres qu’ils essayaient de protéger au nom de leur communauté.

Pendant ce temps, les autorités équatoriennes ont à plusieurs reprises stoppé des groupes de militants qui se rendaient à la COP20, s’emparant de leur bus. Ces militants du mouvement Yasunidos se rendaient à Lima pour manifester contre la décision autorisant l’exploitation pétrolière dans le Parc naturel Yasuní en Équateur. Selon les militants, ils ont été arrêtés parce que le Président équatorien, Rafael Correa, voulait éviter tout incident embarrassant à Lima. Les autorités équatoriennes affirment qu’ils ont stoppé ce bus parce que le chauffeur avait présenté de faux papiers. L’ironie de cette regrettable situation est que cet incident et celui lié à la décision de l’Équateur d’interdire l’entrée de députés allemands qui souhaitaient se rendre au Parc national Yasuní étaient au centre des discussions entourant la participation de l’Équateur à la COP.

Lors d’un événement dédié aux think tanks d’Amérique latine et des Caraïbes, un petit groupe d’organisations ont échangé leurs positions en vue de la conférence de Paris de 2015. Il était étonnant de constater que cet événement réunissait uniquement des organismes spécialisés dans le changement climatique et l’écologie et aucun think tanks péruviens majoritaires travaillant sur des questions économiques et de développement. La participation de ces derniers est cruciale pour faire avancer le débat sur le climat dans la région, et demeure l’un des défis de 2015. Ces organisations peuvent apporter des perspectives et des idées nouvelles, notamment en contribuant au processus politique et aux débats nationaux sur le développement. Comme on a pu le constater lors de la COP20, ces think tanks ne sont pas encore suffisamment impliqués dans le processus et les discussions sur le climat. Alors que la procédure des CPDN est amorcée et la conférence de Paris approche à grands pas, ces groupes de réflexion peuvent jouer un rôle décisif dans l’élaboration de nouveaux récits nationaux qui associent les enjeux climatiques aux objectifs de développement des pays.

À Lima, nous avons eu l’occasion de rencontrer l’unique membre de la société civile vénézuélienne qui participait à la COP20. Maria Eugenia Rinaudo représentait le collectif Adopt a Negotiator, pour lequel elle a suivi la délégation vénézuélienne. Le collectif a aidé Rinaudo à participer à la COP car aucun financement du gouvernement ne lui a été proposé. Il est regrettable que le Venezuela, qui a dépensé une somme faramineuse pour organiser une Pré-COP sociale, notamment en finançant les déplacements internationaux de représentants d’ONG internationales, n’ait rien pu faire pour favoriser la participation de représentants d’ONG nationales à la COP20. À l’avenir, l’une des priorités du Venezuela devra être de travailler avec les organisations nationales de la société civile afin de concevoir une CPDN qui définit un plan d’action national pour le climat contenant des objectifs détaillés de réduction des émissions et des plans d’adaptation nationale qui complètent ses objectifs de réduction de la pauvreté et des inégalités.

 

Une seule ou plusieurs voix ?

Tous les pays d’Amérique latine s’accordent à dire que le changement climatique est un problème sérieux et considèrent que la CCNUCC joue un rôle important dans l’action mondiale pour le climat. Néanmoins, les divisions existant entre les pays sur les moyens à engager pour résoudre ce problème sont telles qu’il serait trompeur de présenter la conférence sous le nom de « COP latino-américaine ».

L’Amérique latine parle rarement d’une seule voix lorsqu’il s’agit de changement climatique et n’adopte pas non plus de positions communes à l’instar de l’UE lors des discussions des Nations Unies sur le climat. En réalité, les pays de la région font partie d’un éventail ahurissant de groupes et d’alliances, tels que le BASIC, l’ALBA, l’AILAC, le SICA et l’AOSIS. La division palpable lors des discussions sur le climat reflète les divergences en matière de politique étrangère et de projet d’intégration régionale en Amérique latine. Les groupements régionaux d’intégration commerciale, tels qu’ALBA, MERCOSUR et l’Alliance du Pacifique, ne partagent pas les mêmes opinions concernant le rôle des gouvernements nationaux et le fonctionnement des marchés et du commerce. Ces divergences d’opinion se font également ressentir dans les discussions sur le climat, où les pays de l’ALBA, comme le Venezuela et la Bolivie, ont adopté une position ferme contre les marchés du carbone, alors que l’Alliance du Pacifique (dont les intérêts coïncident avec ceux de l’AILAC) les soutiennent et cherchent à maximiser les bénéfices qu’ils en tirent.

Alors que commence cette nouvelle année décisive pour le climat, le moment est venu de réfléchir à la façon dont les pays d’Amérique latine pourront dépasser leurs divergences en matière de changement climatique pour prendre des mesures audacieuses et assurer la collaboration dans la région.

Lors de son intervention sans précédent à la COP20, le Costa Rica, assurant la présidence tournante de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), a fait une déclaration au nom de la Communauté. Dans sa déclaration, le Costa Rica soulignait le besoin d’instaurer des mesures d’adaptation aux effets du changement climatique. Ce discours était encourageant dans la mesure où les pays d’Amérique latine sont tous vulnérables face au changement climatique. En outre, il réaffirmait l’engagement de la CELAC envers la CCNUCC ainsi que son soutien à l’entérinement d’un accord juridiquement contraignant à Paris. Enfin, ce discours reflétait l’attachement de la région à prendre part à l’effort mondial pour limiter la hausse de la température planétaire à 2 °C avant la fin du siècle.

Selon Waldemar Coutts, membre du ministère chilien des Affaires étrangères, le discours de la CELAC est le fruit d’un processus diplomatique mené par le Brésil et le Chili, soutenu par le Pérou en sa qualité de président de la COP20 et de la Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC, ou ECLAC en anglais). L’initiative du Brésil et du Chili a pour but de faciliter le dialogue entre les pays d’Amérique latine et des Caraïbes en matière de changement climatique afin d’instaurer la confiance et la compréhension mutuelles en s’appuyant sur des valeurs et des identités communes, et de renforcer la participation de la région aux négociations des Nations Unies sur le climat.

Pourtant, malgré l’importance de la déclaration politique commune de la CELAC, les divergences existant dans cette région se sont fait ressentir à Lima. Lorsque les projets de texte faisaient le tour de la salle, une nette division s’est observée entre les pays d’Amérique latine favorables aux propositions (Brésil, Mexique, membres de l’AILAC) et les pays contre (membres de l’ALBA, Paraguay et Salvador).

Lors d’une autre intervention historique, les présidents de l’union commerciale de l’Alliance du Pacifique (Mexique, Chili, Pérou et Colombie) ont présenté la déclaration de l’Alliance du Pacifique sur le changement climatique. Cette déclaration soulignait que le changement climatique est un défi de taille qui exige de tous les pays des mesures concrètes. Il s’agit d’un fait significatif dans la mesure où les pays de l’Alliance du Pacifique tiennent pour la première fois de tels propos à ce sujet. Alors que les pays de l’Alliance du Pacifique font partie de différents groupes de négociations (le Groupe de l’intégrité environnementale et l’AILAC) à Lima, cette déclaration est un signal positif indiquant que ces pays demeurent des alliés privilégiés et qu’ils s’efforceront de redoubler d’efforts pour lutter contre le changement climatique au sein de leur alliance commerciale. « Nos objectifs communs montrent à l’évidence que nous cherchons à parler d’une seule voix et à agir ensemble pour le climat, » a observé le Président colombien Santos.

Lors du 13e Sommet de l’ALBA, qui s’est déroulé à La Havane en même temps que la COP, des dirigeants ont approuvé la proposition de la Bolivie visant à organiser une conférence sur le climat pour les mouvements de la société civile. Cette rencontre devrait se dérouler de septembre à octobre et aurait pour objectif de présenter des propositions qui seraient étudiées lors de la conférence de Paris. « Il s’agit d’une très grande responsabilité pour chacun d’entre nous, compte tenu de l’échec de la conférence de Lima. Alors que nos ministères de l’Écologie élaborent une proposition, nous nous engageons ici même à organiser un rassemblement mondial des mouvements sociaux qui pourrait aboutir à une proposition qui sauverait des vies et l’humanité, » déclarait Evo Morales, Président de la Bolivie.

Alors que commence cette nouvelle année décisive pour le climat, le moment est venu de réfléchir à la façon dont les pays d’Amérique latine pourront dépasser leurs divergences en matière de changement climatique pour prendre des mesures audacieuses et assurer la collaboration dans la région.

Compte tenu de la multitude de projets d’intégration régionale, les initiatives commerciales de l’Amérique latine continueront de façonner les politiques climatiques adoptées aux niveaux sous-régional et national, comme l’a illustré l’Alliance du Pacifique et l’ALBA. Alors que plusieurs sommets s’annoncent en Chine, au Costa Rica et en Europe, les membres de la CELAC continueront certainement à poursuivre les discussions sur le climat. Bien qu’ils aient leur propre logique, ces projets régionaux peuvent se compléter et favoriser les initiatives prises en faveur du climat. Toutefois, la CELAC doit s’apprêter à relever un défi particulier pour veiller à ce que les discours politiques ambitieux soient en mesure d’obtenir des résultats concrets, ce qui permettrait d’accroître la convergence de positions au sein des Nations Unies. La CELAC doit encore lancer une initiative pour faire face au changement climatique afin d’encourager les mesures prises en matière de protection du climat et d’instaurer la confiance ente ses membres.

Certains estiment que la diversité de l’Amérique latine est davantage une force qu’une faiblesse, car elle propose des approches diverses pour aborder la question du changement climatique. L’absence de position commune dans la région maintient certaines questions importantes sur la table des négociations. Grâce à leur diversité de points de vue, les pays d’Amérique latine peuvent se rapprocher d’autres pays du monde qui partagent leurs idées, leur permettant ainsi d’influencer le débat international sur bien des plans.

D’autres observateurs pensent qu’une région qui parle d’une voix discordante perd l’attention de ceux qui s’unissent et portent un message unique. Certains problèmes que rencontre l’Amérique latine en raison de sa vulnérabilité face aux effets du changement climatique pourraient certainement être abordés plus efficacement si les pays agissaient d’un seul homme. Pour cela, il faudrait renforcer la coopération régionale afin de faciliter la mise en œuvre de plans d’adaptation et la promotion des énergies renouvelables. Cette coopération pourrait avoir de réels avantages et permettre de concevoir des plans d’actions pour le climat, de restaurer la confiance entre les pays et de favoriser les prises de position communes lors des discussions des Nations-Unies sur le climat. Notre ouvrage sur les politiques climatiques de l’Amérique latine à paraître cette année chez MIT Press approfondit cette question.

 

La Conférence Climat de Paris, et après ?

Alors que s’ouvre une année riche en rebondissements en matière de changement climatique, deux choses doivent avoir lieu avant la tenue de la conférence de Paris. Premièrement, les pays d’Amérique latine doivent concevoir des CPDN solides, capables d’amorcer le changement vers des économies résilientes, prospères et à faibles émissions. Les investissements réalisés dans le domaine des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique peuvent être conjugués à des actions favorisant la réduction des risques de catastrophe, la planification de mesures d’adaptation au changement climatique et la construction de systèmes de transport public durables. La participation de la société civile, notamment dans l’élaboration des CPDN, est essentielle. Deuxièmement, afin d’augmenter les chances de voir émerger un accord ambitieux, juste et équitable à l’issue de la conférence de Paris, tous les pays d’Amérique latine (et d’autres pays du monde) doivent jouer un rôle constructif et actif lors des différents cycles de négociations qui se tiendront cette année, dont le point culminant sera la conférence de Paris.

La communauté internationale a besoin de dirigeants aptes à défendre la cause du changement climatique en 2015. L’Amérique latine dispose de plusieurs candidats pour remplir cette fonction, notamment les présidents du Pérou, du Chili ou de la Colombie. Néanmoins, malgré les progrès réalisés dans la région, il existe encore aujourd’hui des divergences de discours sur la question du climat et la situation de la région. Il apparaît crucial d’harmoniser les différents points de vue afin de mettre en œuvre et de faire progresser les politiques climatiques en vue de marquer un tournant lors de la conférence de Paris.

La conférence de Lima a montré que les pays d’Amérique latine souhaitent contribuer au développement de solutions pour lutter contre le changement climatique au niveau mondial. Nous devons tous agir pour contrer le réchauffement rapide de la planète, mais pour cela, il est important que les déclarations soient suivies d’actions réelles. Alors qu’elle ne représente que 11 % environ des émissions mondiales, l’Amérique latine ne peut avoir un impact majeur sur la réduction des émissions mondiales à côté des mastodontes que sont la Chine et les États-Unis. Malgré cette position intermédiaire, les initiatives régionales et la volonté politique de limiter les émissions sont toujours aussi importantes dans la mesure où tous les pays doivent apporter leur contribution.

Les pays d’Amérique latine joueront un rôle central lorsqu’il s’agira de déterminer si la conférence de Paris a abouti à un accord ambitieux ou précaire. Suite à l’organisation d’une COP réussie sur son propre territoire en 2014, les pays d’Amérique latine ne doivent pas se reposer sur leurs lauriers, mais doivent être prêts à négocier un accord ambitieux à Paris et à se servir des CPDN pour construire des économies nationales prospères, résilientes et à faibles émissions.


© Brookings.edu - traduit de l'anglais par Morgane Lafon / article original

Date de l'article : 08/01/2015

Retour