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L'ARGENT, POISON DU XINGÚ - un témoignage du leader indigène Pirakuman Yawalapiti

L'ARGENT, POISON DU XINGÚ - un témoignage du leader indigène Pirakuman Yawalapiti

Pirakuman Yawalapiti, photographié par Felipe Milanez lors du Kuarup 2014

Source : Carta Capital / blog de Felipe Milanez
Pirakuman Yawalapiti et Afukaka Kuikuro, deux des principaux leaders du Parc du Xingu, réfléchissent sur l'avancée du capitalisme dans les terres indigènes. Lors de la célébration des morts de cette année dans le haut Xingu, en août, pendant la période de la sécheresse, deux histoires se sont croisées sur les places de différents villages sur les défis des sociétés indigènes face à une avancée du capitalisme de plus en plus importante.

Dans le village Ipatse, des Kuikuro, une des personnes mise à l’honneur était un jeune kalapalo, Kuangi Kalapalo, qui, comme beaucoup de jeunes du Haut Xingu, tentent la vie en ville avec des sous-emplois, est mort en travaillant dans un silo de soja. Un accident de travail qui lui a coûté la vie. Il a littéralement été enterré sous le soja. Et son corps a été ramené au village pour y être enterré où il a reçu l'hommage spirituel dédié aux grands chefs. Afukaka Kuikuro, le cacique du village d’Ipatse, est un des plus grands défenseurs de la culture du Xingu et s’oppose au fait que les jeunes abandonnent la vie au village pour aller vivre en ville. Symboliquement, ce rituel en l'honneur du jeune homme a aussi servi à alerter beaucoup d'autres sur ce qui les attend, en dehors de leurs beaux villages ; un travail dégradant, parfois esclave, et des conditions de vie quotidienne difficiles, soufrant du racisme, des préjugés et de la discrimination.

Un autre honoré était le vieux Yawalapiti, qui, dans le passé, a vu son peuple presque disparaître pour le voir finalement croître et se multiplier ces derniers temps - hélas, aussi avec quelques jeunes essayant la vie hors des limites du Parc et souffrant dans les mains des exploiteurs. Mapukaiaka, le nom de l'honoré dans le Kuarup du village Tuatuari, de Yawalapiti, était une des dernières personnes parlant la langue, langue qui est aujourd'hui partagée par sept personnes.

Quand les Yawalapiti étaient peu nombreux, et après qu'ils aient subi une terrible épidémie de rougeole et des attaques d’ennemis, ils se sont dispersés dans quelques villages des différents peuples du Xingu. Mapuaiaka est allé chez les Mehinaku. Le peuple Yawalapiti s’est regroupé avec le soutien d'Orlando Villas Bôas peu avant la création du Parc du Xingu, en 1961. Du fait de nombreux mariages inter ethniques entre peuples voisins, quelques langues sont devenues prédominantes, comme le Kuikuro, de la famille Karib, et le Yawalapiti, de la famille Arawak a commencé à être peu parlé à l'intérieur des maisons. Quand Villas Bôas a aidé les Yawalapiti à se regrouper à la fin des années 1950, Mapukaiaka avait déjà entendu dire, par le propre Sertaniste, que bientôt la forêt serait encerclée par des fermes et des villes.

Pirakuman, leader reconnu des Yawalapiti, et Afukaka, chez les Kuikuro, sont deux de 14 co-auteurs d'un livre qui sera publié par l'Editeur Sesc. et duquel je suis organisateur. Le livre s’appelle « Mémoires Sertanistes » - Cent ans d'indigénisme au Brésil (São Paulo : Éditions Sesc SP,  2014, NO PRELO) et sera lancé début 2015. Dans sa déposition, Pirakuman propose une longue réflexion sur la relation de son peuple avec l'indigénisme d’État au Brésil, particulièrement le Sertaniste Orlando Villas Bôas. Une partie de sa déposition, cependant, traite d’un thème fondamental actuel : la relation des peuples indigènes avec la politique publique. Et cela va au-delà de la question des terres – le problème fondamental et plus urgent. Dans le cas du Xingu, le problème est aussi l'argent, qui opère tellement par la séduction du capitalisme environnant, quant à la supposée compensation des impacts des grands projets ou par recrutements, faits par le gouvernement, de salariés indigènes et la mercantilisation dans les relations internes des villages.

Une partie de la déposition d'Afukaka a été publiée ici dans ce blog, l'année dernière, moment dans lequel Afukaka a critiqué l’actuel gouvernement pour non respect des droits indigènes, et sur la pression des ruralistes contre les territoires : « La politique du gouvernement ne permet plus de récupérer notre terre. Ils veulent changer la Loi, ils affaiblissent la Funai. Nous n'arrivons plus à récupérer aucun de nos lieux sacrés."

Pendant le Kuarup chez les Yawalapiti, à l'intérieur du Parc Indigène de Xingu, en août de 2014, j'ai parlé longuement avec ces deux leaders. Quelques salariés de la Funai, à partir de Brasilia, ont tenté d'empêcher mon entrée dans la région, même faisant l’objet d’une invitation des leaders pour accompagner le rituel, les écouter et les aider, en tant que journaliste engagé sur la lutte indigène, répandre leurs idées, avec des intimidations et des menaces qui ont été rapportées vers la direction de l'institution. Ceci est arrivé en même temps que la Funai fermait les yeux à l’entrée, pour le même rituel, de députés en campagne, d’avocats négociant des crédits de carbone, de touristes, etc… Heureusement, pendant le processus, la situation a été contrôlée avec l'aide de la direction de la communication de l’organisme et l’implication d’employés également engagés dans la défense de la cause indigène. La règlementation actuelle de la Funai vis-à-vis du travail des journalistes peut non seulement atteindre la liberté d'expression, mais la propre capacité d'articulation politique des peuples indigènes dans l’opinion publique face à une société marquée de plus en plus par des sentiments racistes et anti-indigènes.

La réflexion sur l’argent que Pirakuman propose, dans le moment actuel d’instabilité de la Funai en tant qu'institution et une désarticulation de la politique publique pour les peuples indigènes, devrait servir de référence pour améliorer le dialogue entre le gouvernement et les indigènes dans la production conjointe d'une politique indigéniste progressiste, marquée par le protagonisme des sociétés indigènes et visant l'autonomie et l'émancipation. Pirakuman, tout comme beaucoup de leaders indigènes à travers le Brésil, n'a pas voté pour Dilma. C'est peut-être le message à être, finalement, écouté et partie prenante dans le dialogue que propose la présidente. Non seulement quand ils sont atteints par des méga projets, mais aussi dans l'élaboration de programmes comme la « Bolsa Familia » l'enseignement et la santé.

L'argent est un poison, par Pirakuman Yawalapiti

Nous sommes très inquiets pour l'avenir du Xingu. Nous ne savons pas ce qui va arriver d’ici une cinquantaine d’années. Jusqu’ici tout a fonctionné. Mais nous avons dû beaucoup lutter. Je sais que nous sommes en contact avec l’homme blanc depuis déjà presque cent ans. Jusqu'ici, avec beaucoup de luttes, nous maintenons la culture. Ma préoccupation c’est l'avenir. Nous, Yawalapiti, chaque nuit et chaque après-midi nous réunissons les jeunes, leur parlant de cette préoccupation, parlant de leur avenir. Comme Orlando et mon père faisaient quand j'étais petit.

Mais, aujourd’hui, ce qui a changé la jeunesse dans le Xingu ... c’est quelque chose de triste. Le principal changement de la jeunesse c’est l'argent. C'est cela le véritable problème. L'argent qui est venu de l’emploi. La santé publique de l'État est entrée là et a employé les garçons comme aides-soignants. L'enseignement est entré là et a employé les garçons et les filles comme professeurs. Les jeunes sont devenus des fonctionnaires publics. Cela dans le village. Mais ce n'est pas du travail pour longtemps. C'est du travail qui dure peu et fait entrer l’argent à l'intérieur du village. Et qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que ceux qui ont du travail disent qu’ils veulent aller vivre en ville : "je vais quitter le village et vais aller vivre en ville. J'obtiendrai un autre emploi." Un travail fait que le jeune veut, ensuite, trouver un autre emploi. Et il laisse ainsi derrière lui les coutumes et la culture.

Le gouvernement donne aujourd'hui du travail à celui qui sait écrire un peu. Ces jeunes reçoivent des emplois pour travailler dans la santé, comme agents de santé et aider la communauté, ou l'enseignement, comme déjà dit. Mais le problème est la suite. Quand finit le contrat d'un an, ils veulent partir pour la ville pour chercher un autre emploi. Cela m'inquiète beaucoup. Emploi et argent. Et les emplois qu'ils vont trouver en ville sont des sous emplois des Blancs. Ils travaillent pour les fermiers. Ils travaillent pour les producteurs de soja. C’est en train d’arriver. Il y a même un garçon qui est mort en travaillant dans le soja, quand le soja est tombé sur lui. Un jeune Kalapalo. Ce circuit de travail et d'argent est un problème très dangereux.

Plusieurs garçons d'autres ethnies travaillent comme balayeurs de rue, employés de ferme, faisant des briques dans les briqueteries, faisant l'asphalte sur la route pour le DNIT (le Département National d'Infrastructure des Transports) et ils ne veulent pas retourner au village. Parce qu'ils se sont habitués à avoir de l'argent et ils ne veulent plus revenir. Les personnes qui vivent en ville ne connaissent plus rien de leur histoire ni de leur culture. Tout ce que nous connaissons ils ne le connaissent plus. Cela nous rend malades. Moi, mon frère, d'autres caciques, nous essayons de leur parler mais les jeunes refusent de nous entendre.

Et c’est de cette façon là qu’Orlando me parlait, et c’est ce qui est en train d’arriver. Sur l'argent, spécifiquement, Orlando disait ceci : « Ce qui en finira avec vous c’est l'argent. L'argent est l'arme la plus dangereuse que le blanc possède. C'est un poison. L'argent fait tout. Le blanc vous achètera, il vous fera  devenir ennemi de votre propre frère, de vos parents. L'argent apportera l'envie, la jalousie, provoquera la lutte. Tout cela c’est l'argent. "

Tout ce qu'Orlando a évoqué est en train d’arriver. De là, avec l'argent, le jeune oublie sa culture et commence à se préoccuper des choses propres à l’homme blanc. C'est une chose que j'ai voulu comprendre. Pourquoi courir après un travail, vivre en ville ? Je ne vois pas de problème si vous vivez au village. Au village vous n'avez rien à dépenser à l’inverse de la ville. Payer un loyer, payer l’eau, l'énergie, la nourriture. Ce genre de choses n'existe pas au village. 

L'agent de santé qui a été renvoyé part pour la ville pour y chercher du travail. Et sur ce chemin il y a aussi les jeunes qui insistent pour emmener leurs parents, pour leur retraite, en ville. Ils louent une maison en ville. Le vieux se sent bien au village. Mais, sous l'influence des jeunes, il part pour la ville et il souffre. Manque de nourriture. Manque de tout.

Tout ceci c'est à cause de l'argent. La cause qui nous atteint à l'intérieur de nous. Sauf que ce n'est pas le seul problème au Xingu.

Production de soja, pollution de l'eau, poisons tombant dans l'eau, ceci nous atteint directement. Atteint notre territoire et atteint notre vie. Le Xingu est encerclé de soja, Il n'y a plus cette forêt. Les fleuves sont en train d’être contaminés et l'air est devenu sec. Chaque année qui passe nous amène de plus en plus d’incendies. Maintenant, n'importe quel feu est devenu dangereux, parce que les fermes sont en train d’assécher l'air. En 2012, notre village a totalement brûlé dans un grand incendie, nous avons dû le reconstruire.

Maintenant, les fermes et les villes sont arrivées aux portes du Xingu. Nos enfants sont entre ces deux mondes. Et nous avons besoin de lutter.

Par Felipe Milanez 

*A collaboré : Maíra Kubík Mano


© Carta Capital - Blog de Felipe Milanez (traduction : Soutien Européen au Brésil Indigène) / article original

Date de l'article : 31/10/2014

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