Extrait du discours du président du Cimi sur la situation des peuples indigènes du Brésil
Erwin Kräutler, président du Cimi et évêque du Xingu
Source : CIMI (www.cimi.org.br)
Lors de la 52º Assemblée Générale des Évêques du Brésil (du 30 avril au 9 mai 2014), Dom Erwin Kräutler, évêque du Xingu et président du Cimi (Conseil Indigéniste Missionnaire), a longuement parlé de la situation des peuples indigènes du Brésil et a remis en question la stratégie de développement adoptée par le gouvernement brésilien, notamment en Amazonie.
Voici la traduction de l'extrait de son discours consacré à ce sujet.
La "question indigène" ?
Il n'existe pas de question indigène au Brésil.
Ce qu'il y a, c'est d'un côté, les droits des peuples indigènes, reconnus par la Constitution Fédérale de 1988 et renforcés en 1989 à niveau international par la Conventionn 169 de l'Organisation Internationale du Travail, et d'un autre côté, ceux qui les méprisent honteusement et violent aussi bien la constitution du pays que les traités internationaux dont le Brésil est signataire.
La question n'est pas "indigène", la question est au sujet des campagnes anti-indigènes, incitées par les ennemis déclarés des indiens dans tous les états où ces peuples survivent encore aux massacres centenaires.
La question est l'agression perverse aux "droits fondamentaux" de ces peuples qui provoque leur mort physique et culturelle. En réalité, c'est cette guerre infâme contre les indiens en plein XXIº siècle qui salit l'image du Brésil à l'étranger et non les dénonciations que le leader indigène Babau Tupinambá souhaitait faire à notre pape François au nom de tous les peuples indigènes du Brésil.
Enfin, la question est ce concept équivoque de développement qui est compris seulement comme la croissance économique, l'augmentation du PIB (Produit Interne Brut), les récoltes records, l'augmentation des exportations, au lieu de l'amélioration de la qualité de vie pour tous en terme de santé, d'éducation, d'habitation, de transport, de sécurité. Dans le développementisme et la croissance en cours, l'indien gène, il perd le droit d'exister, il est persécuté et obligé à désoccuper ses terres ancestrales, il est mis dehors.
Les indigènes du Brésil sont au nombre de 896 mille personnes, selon le recensement de l'IBGE (Institut Brésilien de Géographie et Statistiques) de 2010. Ce sont des Brésiliens et des Brésiliennes, descendants des premiers habitants de ce pays continental qui constituent 305 peuples et parlent 274 langues.
Qu'est-ce qui est en jeu ?
La Constitution Fédérale de 1988 signifiait un véritable changement copernicien dans l'histoire du Brésil en relation aux peuples indigènes. Après 166 ans d'un Brésil indépendant et un siècle d'histoire républicaine où les indigènes ont été ignorés ou privés de leurs droits et de leur dignité, les sombres nuages qui planaient au dessus des villages indiens se sont dissipés. Les indiens n'étaient enfin plus sous la tutelle de l'État comme s'ils étaient mineurs, incapables d'exercer leur citoyenneté.
Dans la nouvelle Constitution, ils sont l'objet d'un chapitre entier pourvu de deux articles (les articles 231 et 232) ainsi que d'un article au sujet des Actes et Dispositions Constitutionelles Transitoires (article 67) qui stipule un délai de 5 ans pour démarquer toutes les terres indigènes du Brésil. Le Brésil a reçu les éloges du monde entier pour sa volonté, alors manifeste dans la Constitution, de finalement prendre au sérieux et acquitter la dette historique qu'il avait contractée vis à vis des peuples indigènes tout au long des siècles et enfin respecter les droits et honorer la dignité de ces peuples. La nouvelle Constitution a beaucoup fait pour que de nombreux peuples renaissent de leurs cendres et de l'anonymat. Souvenons-nous de la marche historique des peuples indigènes, réalisée en 2000 à l'occasion des 500 ans à Porto Seguro, dans l'état de Bahia, lorsque les Indiens d'Amazonie brandissaient une banderolle affirmant "Réduis, mais jamais vaincus !" De fait, depuis des milliers d'années, l'Amazonie est leur terre, leur patrie, le lieu de leurs mythes et de leurs rites, l'environnement de leurs danses et de leurs croyances, la terre où ils ont enterré leurs ancêtres.
Un bref aperçu des 6 Constitutions antérieures nous permet d'apréhender l'avancée qualitative du Brésil en relations aux droits indigènes que cette Constitution Citoyenne du 5 octobre 1988 a permis.
Dans la "Constitution Politique de l'Empire du Brésil" du 25 mars 1824, un an et demi après l'indépendance, ainsi que dans la "Constitution de la République des États Unis du Brésil" du 24 février 1891, un peu plus d'un an après la Proclamation de la République, il n'y a absolument rien sur les peuples indigènes. Ils étaient considérés comme inexistants, ou du moins, sans aucune pertinence politique.
La première Constitution Brésilienne qui dédie quelques lignes aux indiens est la "Constitution de la République des États Unis du Brésil" de 1934. Dans l'article 5, on peut lire "il revient à l'Union de légiférer sur l'incorporation des sylvicoles à la communion nationale". Plus loin, dans l'article 129, la Constitution de 1934 indique "Il sera respecté la possession des terres des sylvicoles qui y vivent de manière permanente, et il sera par conséquent interdit de les aliéner." Chaque mot a son poids ! "L'incorporation" proposée n'est rien d'autree qu'un acte violent, méprisant, arbitraire. Quelqu'un ou une loi définit simplement le futur d'êtres humains sans leur demander leur opinion. C'est la prépotence qui dicte ses lois. Le mot "sylvicole" est discriminatoire, péjoratif ! Le dictionnaire Aurelio définit le "sylvicole" comme "celui qui naît et vit dans la forêt" et indique comme synonyme "sauvage". Cette vision a engendré toute une histoire d'une sorte "d'apartheid" brésilien. Les indiens sont sauvages, bougnoules, culs terreux. En revanche, les blancs sont civilisés, cultes, illustres. La "communion nationale" est la "communion" des blancs, des non-indiens dont les ancêtres sont venus d'autres continents pour s'établir ici et pour former la Nation Brésilienne en excluant définitivement les autochtones qui vivent sur cette terre depuis des millénaires. Les indigènes ont accès à cette communion nationale s'ils abdiquent de leur identité et s'ils assument la culture des blancs. La seule chose positive dans la Constitution de 1934 est la référence aux "terres sylvicoles" dont la possession doit être respectée.
La "Constitution des États Unis du Brésil" du 10 novembre 1937 omet l'article sur "l'incorporation" mais parle des terres indigènes.
La quatrième Constitution, la "Constitution des États Unis du Brésil" du 18 septembre 1946 ne parle plus des "terres sylvicoles" mais répète l'énoncé de la Constitution de 1934 sur l'incorporation : "Art. 5 - Est de la compétence de l'Union : XV - légiférer sur r) l'incorporation des sylvicoles à la communion nationale."
En conséquence du coup d'état du 31 mars 1964 le Congrès National s'est transformé une fois de plus en une Assemblée Nationale Constituante qui a travaillé sous la pression des militaires. Le régime militaire avait besoin d'être légalisé. La Constitution de la dictature militaire est entrée en vigueur le 15 mars 1967. En relation aux peuples indigènes, le nouveau texte constitutionnel indique dans l'article 4 "sont inclus entre autres biens de l'Union : IV - les terres occupées par les sylvicoles" et dans l'article 8 "est de la compétence de l'Union : XVII - légiférer sur : o) la nationalité, la citoyenneté et la naturalisation; l'incorporation des sylvicoles à la communion nationale". Il est simplement surprenant que dans cette Constitution de la dictature militaire les indigènes soient placés sur le même plan que les étrangers qui aspirent à la nationalité brésilienne.
La nouvelle Constitution, Dieu merci, a mis fin à cette discrimination des peuples indigènes et affirme le droit des peuples "à leur organisation traditionnelle, leurs coutumes, leurs langues et leurs traditions, et le droit originaire aux terres qu'ils occupent traditionnellement". E c'est avec orgueil que nous pouvons dire que l'effort de notre église, de la Commission Nationale des Évêques du Brésil (CNBB) par l'intermédiare de son bras indigéniste, le Cimi (Conseil Indigéniste Missionnaire), a été fondamental.
Le 1º juin 1988 est devenu une journée historique pour le Brésil et les peuples indigènes, car ce jour-là la scéance plénière de l'Assemblée Nationale Constituante a approuvé la rédaction du chapitre spécifique sur les droits indigènes. Dans les galeries de la Chambre des Députés, 200 indiens de diverses éthnies étaient présents, peints selon leurs traditions, et ont donné au Congrès une coloration émouvante. Au second et dernier tour du vote, lors de la session du 30 août 1988, sur 453 voix, le chapitre sur les indiens a obtenu 437 voix favorables, 8 abstentions et 8 voix contre.
Vingt six années se sont passées depuis la promulgation de la nouvelle Constitution Fédérale du Brésil. Subitement, le ciel se charge à nouveau de nuages obscurs et tout notre effort aux côtés des peuples indigènes court le risque d'avoir été vain. Sônia Guajajara, de la COIAB, a tout à fait raison lorsqu'elle s'exclame "si autrefois nous luttions pour la reconnaissance de nos droits, aujourd'hui nous luttons pour ne pas perdre ces droits reconnus par la Conatitution".
Lamentablement, des groupes politico-économiques anti-indigènes liés à l'agrobusiness, l'activité minière, le BTP, avec le soutien et la participation du gouvernement brésilien, ont déclaré la guerre et cherchent à détruire les droits territoriaux des peuples indigènes. Ils utilisent systématiquement des instruments politico-administratifs, judiciaires et législatifs, dans la tentative d'afaiblissement ou de supression des paramètres constitutionnels. La Constitution Fédérale elle même est en jeu. Les initiatives anticonstitutionnelles et anti-indigènes sont prises au niveau des trois pouvoirs :
- Le pouvoir exécutif ; les Ordonnances 419/11 et 303/12 et le Décret 7957/13;
- Le pouvoir législatif : les Propositions d'Amandements Constitutionnels (PEC) 215/00, 038/99 et les Projets de Loi 1610/96 et 227/12;
- Le pouvoir judiciaire : l'instrument des "Suspensions de Sécurité".
Mato Grosso do Sul : les Guarani-Kaiowá
"Nous sollicitons que soit décrétée notre mort collective et que nous soyons tous enterrés ici. Nous demandons que soit décrétée une fois pour toute notre décimation / extinction totale et que soient utilisés des tracteurs pour ouvrir notre fosse commune. Décrétez la mort collective des Guaranis-Kaiowá de Pyelito Kue/Mbarakay et enterrez-nous ici." C'est le poignant et angoissant appel de la communauté Guarani-Kaiowá de Pyelito Kue/Mbarakay du 10 octobre 2012.
Les Guarani-Kaiowá vivent la situation de pire vulnérabilté sociale et de violence parmi les peuples indigènes du Brésil. Avec une population de 45 000 personnes, ils occupent moins de 30 000 hectares de terre. Le confinement dans des réserves provoque une situation de mort et de douleur permanente.
Entre 2000 et 2013, 463 suicides d'indigènes ont été enregistrés dans cet état. De plus, entre 2003 et 2012, des 563 indigènes assassinés au Brésil, 317 l'ont été au Mato Grosso do Sul, soit 55% du total.
De nombreuses familles Guarani et Kaiowá vivent dans des campements de fortune sur le bord des routes ou dans de petits espaces repris sur les fazendas. Dans ces endroits, les indigènes sont victimes de fréquentes attaques de fermiers et de leurs hommes de main. Il y a des cas où les villages sont incendiés et les leaders assassinés.
Bahia : le peuple Tupinambá
Depuis le deuxième semestre de 2013, au moins 8 indigènes du peuple Tupinambá et un agriculteur ont été assassinés à l'intérieur de la Terre Indigène Tupinambá de Olivença, dans le sud de l'état de Bahia. C'est la région où les stratégies de criminalisation des leaders indigènes et de la culpabilisation des victimes se fait le plus sentir dans le pays. Les enquêtes sur les crimes pointent toujours sur les Tupinambá et principalement sur leurs leaders. l'un d'eux, Rosivaldo Ferreira da Silva, le cacique Babau, du village Serra do Padeiro, menacé de mort en permanence, est accusé de tous les crimes qui ont lieu dans la région. Le 24 avril, était prévue sa présence dans l'église Saint Ignace, à Rome, en compagnie du président de la CNBB pour la célébration de la canonisation du père José de Anchieta présidée par le pape François. Déjà en possession de son passeport, un mandat d'arrêt ressorti à la hâte d'un tiroir a rendu impossible son voyage et, au lieu d'être à Rome, il s'est retrouvé dans une prison de la capitale fédérale.
Il est clair avec cet épisode que les gouvernements, qu'ils soient de l'état ou de la fédération, sont beaucoup plus préoccupés par leur image à l'étranger que par le respect de la Constitution. La réalité cruelle que les peuples indigènes vivent ne les intéresse pas beaucoup. Et lorsque quelqu'un se rend à l'étranger pour dénoncer les terribles agressions et les omissions du gouvernement, alors les gouvernants sont furieux et cherchent à tout prix à nier ce que tout le monde sait et à faire taire la voix de qui ose divulguer la vérité et rien de plus que la vérité. Ils en arrivent à utiliser des mesures aberrantes d'arrestation pour criminaliser ceux qui dénoncent les outrages et les omissions des gouvernements des états et de la fédération.
Santa Catarina : incendie de la maison de l'agriculteur qui soutenait le peuple Kaingang
Le 13 mars, l'agriculteur Alécio Andriolli, de 62 ans, a eu sa maison incendiée dans la municipalité de Seara, dans le nord-est de l'état de Santa Catarina (sud du Brésil). Alécio habite à l'intérieur de la Terre Indigène Toldo Pinhal, du peuple Kaingang. Connaisseur de l'histoire de la région, ce petit agriculteur reconnaît le droit des indigènes, est d'accord avec la démarcation de leur terre et est disposé à quitter les lieux. Mais il demande seulement à être justement indemnisé, comme la loi l'établit. Pour cette raison, il a été menacé par des non-indigènes qui ne reconnaissent pas les droits des Kaingang. Andriolli croit que sa maison a été incendiée pour l'intimider lui ainsi que 100 autres familles qui, tout comme lui, sont d'accord avec la démarcation de la terre indigène.
Amazonas : l'endémie d'hépatites dans la Terre Indigène Vale do Javari
Dans les dix dernières années, de nombreux indigènes meurent en raison de la précarité de l'assistance sanitaire de la part de l'État Brésilien, particulièrement dans la Terre Indigène Vale do Javari, dans l'état de Amazonas. 85% des indigènes ont eu contact ou sont contaminés par un, ou plus, virus de l'hépatite, surtout du type B qui est mortel et ne se soigne pas.
Minas Gerais : le Peuple Maxakali
Le peuple Maxakali vit entre les vallées du Mucuri et du Jequitinhonha. Ces derniers jours, huit enfants Maxakali sont morts de diarrée et 16 autres sont internés en raison de la même maladie. La Fondation Nationale de l'Indien (Funai) et le Secrétariat Special de Santé Indigène (Sesai), des organismes gouvernementaux responsables des questions indigènes, ne se sont toujours pas prononcés sur la gravité de la situation vécue par les indigènes.
Amazonie : Projets développementistes. Les usines hydroélectriques.
Un recensement fait par le Cimi indique l'existence de 519 projets de moyen et grand port qui affectent 437 terres et 204 peuples indigènes au Brésil. Innondations et déforestations des terres, accidents de la route, pollution des eaux, dissémination de maladies et conflits internes sont quelques uns des graves impacts causés aux peuples indigènes. Il s'agit de projet énergétiques, d'infrastructures, miniers, agroindustriels ou touristiques, hydroélectriques, de lignes de transmissions d'électricité, de routes, de voies ferrées, de voies fluviales...
Personne, en toute conscience, ne peut nier que les tragédies qui se sont abattues sur les peuples indigènes et la population de Rondonia, suite aux innondations jamais vues auparavant, ont été amplifiées par les barrages sur le fleuve Madeira des usines de Jirau et Santo Antonio.
La construction de l'usine de Belo Monte, à Altamira dans le Pará, est un cas emblématique. Aucune des recommandations techniques de spécialistes du secteur énergétique n'ont réussi à convaincre le gouvernement brésilien. La construction en cours provoque déjà un véritable chaos social et environnemental parmi les peuples indigènes, les riverains et la population urbaine. Environ 40 000 personnes sont directement affectées par ce projet et devront quitter leurs maisons.
La prochaine victime est le fleuve Tapajós, où il est prévu de construire un complexe hydroélectrique avec des dizaines d'unités. Les Munduruku, qui sont à la tête de la résistance en défense d'un projet de vie pour leur territoire et pour la région, contre ces projets de mort, sont les plus pressionnés, menacés et attaqués. En mars 2013, la Force Nationale et l'armée brésilienne ont été actionnées sur la base du décret 7957/13 pour réaliser des opérations militaires contre les Munduruku, dans la région du moyen Tapajós, afin de viabiliser les études d'impact environnemental pour l'autorisation de la construction du complexe hydroélectrique.
Amazonie : Le risque de décimation de peuples isolés
Il existe en Amazonie brésilienne environ 90 groupes de peuples indigènes en situation d'un immense risque de décimation en raison des projets tels que les usines hydroélectriques, les exploitations minières ou la déforestation à grande échelle pour permettre l'élevage ou la production de soja.
La paralysation des démarcations des Terres Indigènes
Contrairement à ce que détermine la Constitution Brésilienne, l'actuel gouvernement a suspendu les processus administratifs de reconnaissance et de démarcation de terres indigènes dans le pays. Seule une Terre Indigène a été homologuée en 2013. En 2014, jusqu'à maintenant, aucune terre n'a été reconnue comme indigène. La paralysation des démarcations est une des principales causes de conflits et de violence dont souffrent les peuples indigènes.
© CIMI - article original / traduit du portugais par Soutien Européen au Brésil Indigène