Belo Monte :
pétition du Cacique Raoni

A ce jour 502905 signatures.

Vérifier la validité de votre signature




Actualités

Stop Belo Monte: les visages d'une lutte internationale

Barrage de Belo Monte – Témoignages du Xingu: Entretien avec Maini Militão

Barrage de Belo Monte – Témoignages du Xingu: Entretien avec Maini Militão

© Maíra Irigaray

Source : ecoreserva.com.br
La réalité du barrage de Belo Monte vue à travers le regard d’une jeune femme. Il est sept heures du matin. Je rencontre Maini et nous entamons une discussion alors qu'elle patiente pendant quatre heures à l'hôpital privé d’Altamira dans une ville-champignon du fin fond de la jungle amazonienne au Brésil.  Maini est la seconde d'une fratrie de  quatre enfants. Il y a dix ans, son père Seu Sebastião s'est installé comme fermier sur les rives du fleuve Xingu. A l'époque il était loin d'imaginer combien sa vie serait bouleversée à cause de la volonté de « progrès » de son pays. 

Il y a près de 14 mois, lorsque la construction du barrage de Belo Monte a commencé, Sebastião et sa famille ont été expulsés de leur terre et à ce jour ils n'ont reçu aucun dédommagement. Maini et sa sœur disent souvent, "Ils ne nous ont même pas donné un kilo de sel en échange."

Cette jeune femme de 17 ans aux cheveux longs, enthousiaste et pleine de vie n'a pas essayé de cacher sa colère concernant ce qui est arrivé à sa famille. Elle m'a dit qu'elle consacrait maintenant tout son temps à rassembler des informations et à lutter contre le barrage de Belo Monte. 

Je commençai par lui demander quels étaient ses meilleurs souvenirs d'enfance.  Subitement il m'a semblé qu'elle était transportée dans un autre univers. Un vague sourire flottant sur son visage, elle commença à déverser ses souvenirs, quand, à l'âge de sept ans, elle foulait pour la première fois la terre d'élection de sa famille, cette terre qu'elle nommerait sa terre jusqu'à l'avènement de Belo Monte.

"Tant de souvenirs, de bons souvenirs... Les premières années, mon frère et moi récoltions les noix  de coco – le cacao que nous avions planté ne produisait pas encore et il nous fallait un autre moyen de subsistance," me confia-t-elle.

"Nous nous levions à 4 heures du matin pour récolter les noix, nous portions nos machettes et de gros sacs. Il nous fallait débroussailler la forêt afin d'atteindre les arbres, nous marchions en silence et nous tendions l'oreille afin d'entendre les noix de coco tomber dans le vacarme des chants d'oiseaux.

"Nous avions d'autres productions très variées – parfois nous récoltions près de 6 tonnes de citrouilles par semaine en plus du cacao. Il nous fallait trois jours pour acheminer ces citrouilles  jusqu'au fleuve  afin de les transporter jusqu'à la ville en bateau."

Elle rapporta qu'à cette époque sa famille avait tout ce dont elle avait besoin et qu'elle était très heureuse.  J'en fus profondément impressionné. Il me semble important de le souligner car souvent les gens des villes ont une conception erronée de ce que signifie vivre bien. Selon moi, la conception que notre société a du progrès est rétrograde et erronée.

"Nous faisions tellement de choses. J'aimais vraiment ce que je faisais, rien n'était une corvée pour moi; notre vie était agréable et douce," dit encore Maini, expliquant combien le travail  lui plaisait et combien elle regrettait cette époque. "Nous avions une magnifique plantation de fruits de la passion, ananas, bananes, noix de coco, cacao, maïs et yucca...Nous avions tout ! Le matin en général nous travaillions dans les plantations puis nous déjeunions tous ensemble. L'après-midi on allait pécher. Tous les jours notre mère nous confectionnait des gâteaux. J'adorais ça ! J'étais si heureuse là-bas, jamais je n'aurais voulu en partir."

Je lui demandai quel était son meilleur souvenir de cette époque.

"C'est le jour où nous étions prêts à planter nos premiers cacaotiers.  Notre mère nous a appelé et en nous montrant les jeunes plants elle a dit, 'Regardez mes enfants, ces arbres sont votre avenir.' Nous avons planté plus de 6 000 cacaotiers cette semaine-là. Notre mère était enceinte de huit mois  pourtant elle porta plus d'arbres que mon frère et moi réunis. C'est vraiment une femme  extraordinaire."

En imaginant son bonheur et combien sa vie avait changé maintenant, je ne pus m'empêcher de lui demander ce qu'elle avait ressenti le jour où elle a appris que sa famille risquait de perdre sa terre à cause de la construction du barrage de Belo Monte. Son visage changea complètement d'expression. C'était comme si le ciel lui était tombé sur la tête, qu'elle était subitement passée du paradis à l'enfer.

"J'ai été tellement triste. J'ai grandi là. Je n'avais jamais imaginé qu'on pourrait nous chasser de notre terre. Quand l'ordre d'expulsion est tombé ça a été horrible. Mon père a résisté, il a occupé sa terre pendant plusieurs jours. Un jour, dix voitures de police sont arrivées pendant que mon père travaillait dans les champs. Ils ont commencé à fracasser la maison et tout ce qu'elle contenait. Puis ils ont commencé à détruire les champs de cacao. Mon père a essayé de s'opposer aux bulldozers pour les empêcher d'avancer mais on lui a envoyé un message clair; s'il ne se retirait pas du passage il serait  supprimé avec les arbres. Au dernier moment mon père s'est écarté et a disparu dans la forêt pendant plusieurs jours."

Puis j'ai demandé, qu'est-ce-qui a changé dans votre vie depuis la construction du barrage de Belo Monte ?

"Tout ! Savez-vous ce que c'est quand tout est bouleversé ? Tout a été réduit en pièces. Tout a changé. Nous avions de l'argent, nous avions toute la nourriture dont nous avions besoin, nous avions tout; ils sont arrivés et ont tout détruit. Ils ne nous ont pas donné un sou en échange, pas même un kilo de sel ! A l'époque nous avions en location une maison en ville pour 150 dollars par mois, après la construction du barrage le prix de la location est passé à 500 dollars par mois et une semaine plus tard nous perdions notre terre. Sans aucun dédommagement ni aucun moyen de gagner de l'argent nous ne pouvions aller nulle part. Heureusement le parrain de ma sœur a pu nous venir en aide. Mes parents sont gracieusement hébergés dans la cour de leur maison et mon père travaille maintenant pour un patron. Ma sœur et moi étudions en ville, nous habitons à Xingu Vivo. S'ils ne nous avaient pas accueillis, nous n'aurions pu aller nulle part ailleurs. Je trouve cela injuste, travailler dur pour s'en sortir et être expulsés comme ça sans aucun dédommagement. Après le début des travaux du barrage, ma  mère n'a pas pu retourner chez nous car cela la rendait trop triste. Elle pensait que le fleuve était fâché contre elle, comme s'il tentait de lui dire quelque chose."

Et quel est votre pire souvenir ?

"Ce fut le jour où je suis retournée chez nous après que tout ait été détruit," répondit-elle sans hésiter. "Impossible de me contrôler. J'ai commencé à pleurer. J'ai pleuré pour le saccage des plantations, de nos vies, de notre histoire. J'ai senti qu'il n'y avait plus d'avenir pour moi ici. J'ai senti que ma vie était finie.  Vous savez quand vous jetez une pièce dans un évier et que vous la voyez aspirée vers le fond, c'est comme ça que je me suis sentie. Je ne savais pas quoi faire. Ma mère a dit, 'Avez vous tellement de choses à jeter qu'il vous fallait toute notre terre pour faire ça ?' L'homme a répondu, 'Nous allons jeter tous les arbres que nous avons coupés ici.' Et ma mère a répondu, 'Mais  ces arbres sont utiles ! Nous les utilisons pour fabriquer des tables et des chaises ! Ce ne sont pas des détritus !' Ce jour-là ça a été horrible, j'ai senti le cœur de ma mère qui se brisait et au même moment mon cœur se brisait aussi."

Maini est si jeune, elle a vécu tellement de choses en dépit de tout ce qui s'est passé. Son regard juvénile, son expression portent la marque de la destruction violente et de l'injustice et sa douleur est aussi claire que les eaux de source qui irriguaient autrefois sa terre. 

Elle conclut en me disant, "Nous avions un châtaignier sur notre terre, il était si gros qu'il fallait cinq personnes se tenant la main pour en faire le tour. Où est la justice ? Comment est-il possible que ces hommes arrivent, saccagent, abattent et jettent au rebut ce châtaignier ? Où est la justice ? C'est insensé !"

Maini sait que ce projet est mis en œuvre par le gouvernement fédéral, je lui ai donc demandé ce  qu'elle dirait à Dilma si elle en avait la possibilité.

"Je ne tolèrerais aucune civilité, je pense que je lui crierais dessus et que je la maudirais. Je suis très en colère contre elle !"

Puis je lui demandai, Que diriez-vous au peuple brésilien ?

"Chers compatriotes, ce qui se passe ici n'est pas ce que vous pensez. Ils maltraitent, massacrent et détruisent tout. Des enfants sont violés, des personnes innocentes souffrent et la nature souffre aussi. Tout ceci est fait avec notre bien, notre argent – votre argent ! Vous devez ouvrir les yeux ! Ne réagissez pas égoïstement, mettez-vous à la place des autres."

Enfin quand j'ai demandé à Maini quels étaient ses projets pour l'avenir, elle m'a dit : "Ce que je veux à l'avenir c'est étudier, être diplômée et botter les fesses de ces salopards. Je veux que justice soit rendue." 


Avant de rejoindre Amazon Watch, Maíra Irigaray a travaillé en qualité d'avocat international pour les Droits de l'Homme et de l'Environnement, elle a aidé à porter l'affaire du barrage de Belo Monte devant la Commission Inter-américaine pour les Droits de l'Homme (Interamerican Commission of Human Rights). Maíra est également titulaire d'un Master en Droit  comparé de l'Université de Floride, elle y a reçu une récompense pour son livre trade & human rights (Commerce et Droits de l'Homme).


© ecoreserva.com.br / traduction: Magali Amissano: article original

Date de l'article : 28/03/2013

Retour