Belo Monte :
pétition du Cacique Raoni

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RAONI repart en guerre

RAONI repart en guerre

Samedi 24 novembre, avec Maboïka, dans leur hutte du village Metuktire (Etat du Mato Grosso). Raoni porte une coiffe symbolisant le soleil, un labret dans la lèvre inférieure et plusieurs colliers. | Photo John Van Hasselt

Source : Paris Match
Pour protéger l’Amazonie menacée par les barrages et la déforestation, le chef indien vient plaider sa cause à Paris. C’est un vieux guerrier fatigué qui arrive chez nous. Il y a deux jours, il a quitté son paradis perdu d’Amazonie pour rejoindre le monde des Blancs. Un monde qu’il n’aime pas beaucoup.

Trop de foule, de bruit, d’agitation. Mais un monde à qui il doit parler. Une nouvelle fois, une ultime fois. A 82 ans, peut-être 83, il ne le sait pas lui-même, Raoni est conscient que c’est son dernier voyage. Un voyage qui, cette fois, l’a épuisé.

Dimanche matin, après des adieux déchirants et pleins de larmes avec le peuple kayapo, il a prié le dieu ­Imprere, embrassé sa femme Maboïka, ses enfants, et quitté sa hutte, dans laquelle il a remisé flèches, appâts et pièges. Une barque à moteur est venue le chercher à Metuktire, le village situé au bord du fleuve Xingu, et l’a conduit au poste frontière de Pieraçu. Là, un avion-taxi l’attendait pour le déposer à Cuiaba, où il a passé la nuit avant l’interminable parcours du lendemain : Cuiaba-­Brasilia, Brasilia-Rio, Rio-­Paris… Qu’elle est loin, cette toute petite France !

Raoni, qui ne connaît que les immenses forêts du Mato Grosso, où il vit au rythme de la chasse, de la pêche et de la cueillette, n’aime pas l’avion. Il s’y sent enfermé, épié, même si son spectaculaire plateau rouge en balsa, qui fait cercle dans sa lèvre inférieure, et sa coiffe de plumes d’ara n’impressionnent plus autant qu’avant. Mais Raoni ne se plaint jamais. Ni des regards indiscrets qui lui donnent parfois l’impression d’être un animal de foire, ni des douleurs lancinantes qui traversent ses articulations. « Le chef n’a pas d’état d’âme », répète-­t-il ces temps-ci aux membres de sa tribu qui s’inquiètent pour lui. « Le chef est fort. Le chef est courageux. »

Pour Raoni, le chef de tous les combats, la fin justifie les moyens

Courageux, Raoni, qui ne sait ni lire, ni écrire, ni compter, l’est depuis toujours. Ce taciturne qui, chaque jour, médite de longues heures en fumant une pipe en bois qu’il a lui-même sculptée, et qui se nourrit presque uniquement de poisson séché, poulet, riz et galettes de manioc (jamais d’alcool, au mieux du Coca), n’a peur de rien. N’est attaché à rien. Ne possède rien. Pas même ses vêtements, qu’il distribue à qui veut. Issu d’une des tribus les plus guerrières d’Amazonie, il ne recule jamais. Pour lui, la fin justifie les moyens. Il a été de la plupart des combats, y compris les plus sanglants, livrés par les ­Indiens depuis les années 50 contre les colons. Il y a quelques années, il a ­reconnu avoir tué son premier Kuben (homme blanc) dès l’adolescence. « Ils nous apportaient la rougeole, la variole et la grippe alors que nous n’étions pas immunisés. Nous avons commencé à mourir par milliers. »

Au début des années 80, les Kayapos, qui « règnent » sur une réserve de 5 000 Indiens et de 132 000 kilomètres carrés (une superficie supérieure à la Hongrie), ont été rendus responsables de la mort d’une dizaine d’ouvriers qui travaillaient à la construction de la célèbre route BR 80. Insoumis, Raoni se méfie depuis toujours de ces Blancs qui ne savent pas écouter et ne respectent rien. « Je suis le seul qui peut encore empêcher les chercheurs d’or, les “fazendeiros”, les pêcheurs, les bûcherons, les bâtisseurs de barrage d’envahir nos terres. »

Vingt-trois ans après son incroyable tournée mondiale aux côtés du chanteur Sting et de son épouse Trudie, où, pendant soixante jours et soixante nuits, il a répété sans relâche et dans 17 pays différents un message simple et universel : « Sauvez le poumon du monde. La sève de l’arbre, c’est le sang de la terre », il nous revient. Une allure du fond des âges. Un petit homme pour un grand dessein. Ecoutez-le. « Voulez-vous vivre dans un monde où il n’y aura plus de gibier, plus de poisson, plus de forêt ? Sans forêt, il n’y aura plus d’ombre, les vents vont se lever, la terre va s’assécher. Il y aura des feux violents mais plus d’eau ni de nourriture pour les hommes. » Ou encore : « Nous respirons tous un seul air. Nous buvons tous une seule eau. Nous vivons tous sur une seule terre. Nous devons tous la protéger. »
Mitterrand, Chirac, Juan Carlos, le prince Charles... Tous ont promis leur appui, et presque tous l'ont abandonné

Des mots limpides, lumineux, qui avaient fait grande impression sur ses interlocuteurs. Une « noble cause », une « cause juste », une « cause importante » ont répété en boucle les grands de ce monde, rencontrés au fil de ses pérégrinations : François Mitterrand, Jacques Chirac, Juan ­Carlos d’Espagne, le prince Charles, l’empereur du Japon, le pape Jean-Paul II…Un engouement immédiat, fantastique, universel. Tous l’ont reçu dans leurs palais nationaux, sous l’œil des caméras et photographes. Tous ont promis leur appui, des aides, de l’argent, des lois. Et tous, ou presque, l’ont abandonné au fil des années, impuissants à enrayer la marche impitoyable du monde. Raoni est redevenu un homme seul et le sait, lui qui s’est rendu, en juin dernier, au sommet Rio+20 sans avoir pu rencontrer un seul chef d’Etat.

En cet automne 2012, jamais le péril n’a été aussi grand. La déforestation du bassin amazonien se poursuit à grande vitesse, malgré les – petits – ­efforts des pays concernés. En dix ans, la forêt amazonienne, qui, avec ses 6?millions de kilomètres carrés, est une des principales sources d’oxygène de la planète, a rétréci de 500 000 kilomètres carrés. Son écosystème est chaque jour plus menacé. Depuis quelques années, le Brésil, qui abrite 60 % de la superficie de cette forêt, se révèle incapable d’empêcher les arrachages sauvages de milliers d’arbres, y compris dans les zones protégées. Principale coupable : la mafia internationale du bois, qui exploite illégalement les essences tropicales, et dont le chiffre « d’affaires » annuel est estimé à 77?milliards d’euros. Des profits vertigineux, une organisation ultra-puissante contre laquelle les autorités du Brésil, et plus largement d’Amérique du Sud, ne savent pas, ne peuvent pas lutter ; 90 % du trafic mondial du bois proviennent de bois non tracé.

Tout cela, et bien d’autres choses encore, Raoni l'a dit à François ­Hollande le 29 novembre, à l’Elysée. Tout comme il lui a parlé du gigantesque projet du barrage de Belo Monte, le troisième plus grand ouvrage de ce type en construction dans le monde. Un projet qui menace directement les territoires indigènes situés sur les rives du fleuve Xingu et que les autorités brésiliennes refusent, mordicus, d’abandonner malgré manifestations, pétitions et incidents à répétition. Comme Lula avant elle, Dilma Rousseff entend bien poursuivre ce chantier entamé en 2005, dont le coût final avoisinera 13?milliards de dollars et dont l’édification entraînera l’inondation de 502 kilomètres carrés de terres. Belo Monte, qui fournira 11 233 mégawatts (11 % de la capacité installée du pays) par an, est le premier d’une dizaine de barrages que le gouvernement brésilien veut construire dans la région, pour assurer l’approvisionnement énergétique dont la sixième économie du monde a besoin pour croître.


Raoni présentera son successeur: son neveu Megaron

Une perspective qui horrifie Raoni. « Je vous en supplie, stoppez ce barrage. L’eau doit continuer à couler normalement, les poissons doivent pouvoir remonter dans les rivières. Nos enfants et petits-enfants doivent continuer à manger », dira-t-il. Un message que le président de la République française devrait transmettre à la présidente du Brésil, attendue à Paris début décembre. « Je ne baisserai pas les bras. Je me battrai jusqu’au bout. Ils veulent notre terre à tout prix. Ils attendent ma mort pour s’en emparer », avertit encore Raoni, qui sera accompagné pour ce périple de trois semaines (après la France, il ira en Allemagne, en Angleterre, en Suisse, aux Pays-Bas et à Monaco) de son successeur, son neveu Megaron. « Il est à côté de moi depuis longtemps. Il ne me quitte pas. Il apprend tout ce que je sais. C’est la relève. » Une relève qu’il présentera pour la première fois.

En France, Raoni est soutenu par de nombreuses personnalités : ­Bernard Lavilliers, Edgar Morin, Claire Keim, Jacques Weber, Marion Cotillard, ­Stéphane Hessel, Vincent Pérez, ­Vincent Cassel… Ce dernier, qui jusqu’ici ne s’était jamais engagé publiquement dans aucune cause, a exceptionnellement participé à un spot de Jan Kounen en guise de soutien à la campagne « ­Urgence Amazonie », dans laquelle l’ONG Planète ­Amazone, présidée par Gert-Peter Bruch, et la ­Fondation ­Nicolas Hulot sont étroitement impliquées. Actuellement en tournage en ­Allemagne, Vincent ­Cassel ne rencontrera pas Raoni pendant ce voyage. A moins qu’un rendez-vous n’ait finalement lieu à Berlin. Les deux hommes y aspirent. En revanche, Raoni s’entretiendra avec Nicolas Hulot qui, l’année dernière, a tourné avec lui un numéro d’« Ushuaïa » et lui voue une profonde admiration : « Le combat de Raoni est intemporel. L’enjeu climatique est la pire menace qui pèse sur l’humanité. Raoni est un diamant, un sage. Il mériterait d’être Prix Nobel de la paix. »


© Paris Match - Virginie Le Guay: article original 

Date de l'article : 28/11/2012

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