Belo Monte :
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Belo Monte: le barrage qui fait deborder la vase

Belo Monte: le barrage qui fait deborder la vase

Une vue aérienne du fleuve Xingu à l'endroit où le barrage devra être construit révèle clairement l'échelle des difficultés techniques et l'ampleur des destructions inhérentes au projet .

Source : lejeudi.lu
Le méga(lo)-barrage de Belo Monte est un élément symbolique et charnière dans le projet brésilien d'industrialisation de l'Amazonie.
Cet entretien avec Valérie Cabanes,  juriste et soutien actif de l'association Planète Amazone. vient d'être publié par Le Jeudi, l'hebdomadaire luxembourgeois en langue française. Il permet, par un tour d'horizon très complet, de faire le point sur la sombre affaire du barrage de Belo Monte, contre lequel la mobilisation ne faiblit pas.

Quel sera l'impact du barrage de Belo Monte sur l'Amazonie brésilienne?

Valérie Cabanes*:
«Construit sur le fleuve Xingu – qui va être détourné –, composé de deux réservoirs, il va inonder 668 km2 dont 400 de forêt primaire en territoires autochtones. Cela va entraîner de graves atteintes aux équilibres écologiques – détruisant ou modifiant la biodiversité des espaces aquatiques et forestiers, menaçant les espèces piscicoles exploitées par les Indiens et les éleveurs de poissons ornementaux d'Altamira. En outre, 20.000 personnes vont devoir être déplacées, et au moins 24 peuples subiront un changement de mode de vie lié à la raréfaction de leurs ressources vivrières. Deux peuples vont être directement et gravement affectés: le peuple arara et le peuple juruna, qui n'auront plus accès à l'eau.»

Pourriez-vous présenter l'essentiel de l'historique de ce dossier?

V. C.:
«C'est en 1975 que le projet de Belo Monte a été proposé pour la première fois par la compagnie d'Etat d'électricité, alors que le Brésil était encore sous une une dictature militaire.
Ce projet comprenait six centrales – baptisées de noms indiens, ce qui avait été vécu par les populations autochtones à l'époque comme une provocation. Reporté, le projet a été relancé en 1989, provoquant des manifestations tant au Brésil que partout dans le monde.
C'était l'époque de l'intervention de Sting aux côtés de Raoni, le chef du peuple kayapo, peuple gravement menacé par le projet. En février 1989, Raoni a organisé la première réunion des nations autochtones, réunissant 600 Amérindiens. La mobilisation planétaire a convaincu la Banque mondiale de revenir sur son intention initiale et de ne pas prêter de l'argent pour le projet, ce qui a amené le gouvernement brésilien une nouvelle fois à classer le dossier.

Pas viable


C'est le président Lula qui le ressortira des tiroirs, mais il laissera le soin à Dilma Rousseff, qui lui succédera à la présidence, de le mettre en œuvre. Ce qu'elle n'a pas hésité à faire puisqu'elle en a donné l'autorisation en juin 2011, six mois après son accession à la présidence.
C'est donc sur elle que se focalisent les foudres tant des écologistes que des Indiens, des ethnologues, et même de certains économistes qui ne peuvent que constater que, même du point de vue économique, le projet n'est pas viable.
Alors que le projet final, et ses impacts, ont été fortement réduits par rapport aux projets de 1975 et 1989, Belo Monte sera toujours considéré comme un "grand barrage", c'est-à-dire d'une hauteur de 15 m ou possédant un réservoir supérieur à 3 millions de mètres cubes, et sera, de fait, le troisième plus grand barrage au monde.»

Vous dites que même économiquement ce projet n'est pas viable. Pouvez-vous préciser?
V. C.:
«Il a été dit que Belo Monte était destiné à devenir le barrage le plus inefficace jamais construit au Brésil. Il va coûter au minimum 10 milliards de dollars, mais, compte tenu des difficultés de construction, beaucoup d'analystes industriels s'attendent à ce que ce montant soit doublé, voire triplé.
Il est actuellement calibré pour produire 11.000 mégawatts – contre 15.000 initialement prévus –, mais la moyenne de production à l'année ne sera que de 39% de cette valeur, puisque de juillet à octobre la région subit une saison sèche importante réduisant l'efficacité du barrage, durant cette période, à 10%. Pour compenser cette baisse de production issue principalement de la réduction du projet initial, le projet actuel prévoit le recours à une série de centrales thermiques le long du réseau. Ce qui est pour le moins paradoxal pour un projet qui se prétendait écologique sur le plan des émissions de gaz à effet de serre.
Par ailleurs, l'inondation de la forêt par la création des réservoirs va provoquer la putréfaction d'une énorme quantité d'arbres, entraînant des émissions massives de méthane, un gaz à effet de serre 25 fois plus nocif que le CO2. C'est d'ailleurs pour cette raison que la Commission des grands barrages – une commission indépendante internationale qui regroupe les autorités publiques, la société civile et les entreprises – a conclu à l'inefficacité des grands barrages dans la lutte contre le changement climatique.» 


Cela porte un nom: ethnocide»
 


«De plus, l'électricité qui sera produite sur ce barrage est destinée aux villes du sud du pays et devra donc parcourir plus de 5.000 km à travers la jungle, avec les pertes que ce transport occasionnera.
Par ailleurs, le mouvement migratoire occasionné par cet ouvrage est la cause d'une augmentation exponentielle de la violence dans les 11 municipalités directement concernées par la centrale hydroélectrique: trafic de drogues, viols, menaces, port illégal d'armes, flagrants délits et agressions aux personnes connaissent une envolée dans les statistiques policières. La peur gagne la population et les commerçants d'Altamira, la plus importante ville de la zone de Belo Monte. Cette agglomération de 100.000 habitants a vu, entre 2010 et 2011, le nombre de délits croître de 62% et la quantité d'armes saisies de 379%, d'après les chiffres de la police civile du Xingu.
Ceci est d'autant plus regrettable que certaines études, notamment une du World Wildlife Fund (WWF), démontrent que, par une meilleure gestion énergétique et un meilleur entretien des centrales existantes, le Brésil pourrait économiser 40% de sa consommation électrique d'ici 2020.»


Et le gouvernement brésilien persiste.

V. C.:
«Le projet est également dénoncé sur le plan juridique. Depuis le début, les autorités chargées des études préalables n'ont respecté ni la Constitution brésilienne ni certaines conventions internationales. Le Brésil s'est engagé à consulter les populations autochtones en organisant des conférences publiques et à obtenir leur consentement avant d'entamer les travaux.
Mais dans les faits, le gouvernement leur a soumis, deux jours avant la décision d'autoriser Belo Monte, des dossiers de plus de 20.000 pages. Mission impossible pour ces peuples, ne fût-ce qu'à cause du temps qu'il leur a fallu pour rejoindre les villes depuis leurs villages reculés de la forêt.»

Scandale judiciaire

«Dans un premier temps, l'Institut brésilien de l'environnement a rejeté le projet, puis, suite à des démissions, l'a finalement accepté.
Peu après, c'était au tour du ministère public fédéral de contester le décret d'autorisation et d'inviter le gouvernement à ne pas construire le barrage. Dans ce qui pourrait être un scandale judiciaire où l'indépendance des juges a été mise en cause, un autre tribunal fédéral, lors d'un recours contre cet avis, a finalement tranché en faveur du gouvernement. Entretemps, la Cour suprême a condamné l'Etat en demandant l'arrêt du projet. Une mission du rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l'Homme a aussi demandé à ce que soient revues les études d'impact et les méthodes de consultation.
La Commission interaméricaine des droits de l'Homme a enjoint le Brésil d'entreprendre des consultations libres et informées et de suspendre le projet en attendant. En septembre, la justice fédérale a de nouveau ordonné de suspendre les travaux de construction lors d'un procès mené par les éleveurs de poissons d'ornement d'Altamira.
A chaque fois, les autorités brésiliennes ont pratiqué la politique de la chaise vide et de la sourde oreille.
En mars, l'Organisation internationale du travail (OIT), sur la base de sa convention 169 et des dispositions contraignantes en faveur de la protection des droits des peuples autochtones, a invité l'Etat brésilien à consulter les populations de façon libre et informée. Obligé cette fois de réagir, le Brésil s'est engagé à respecter la convention... à l'avenir, donc sans revenir sur les projets en cours, à savoir Belo Monte et Jirau, un autre projet de mégabarrage qui a démarré en 2009.
Pour nous, il s'agit malgré tout d'une petite victoire, car c'est la première fois que le Brésil reconnaît son erreur.
Cela étant, il est clair que Belo Monte ne se fera pas facilement. Les conditions de travail sont extrêmement dures, et récemment 7.000 ouvriers se sont déjà mis en grève pendant plusieurs semaines. Par ailleurs, les Indiens comptent profiter du Sommet de la Terre à Rio pour faire scandale. Regroupés au sein de l'association "Xingu vivo para sempre" ("Xingu vivant pour toujours"), installés dans un campement sur place, ils auront un pavillon dédié et donneront des conférences. Entretemps, nombreux sont les chefs du mouvement qui, ces derniers mois, ont été intimidés, menacés voire tués. Et là, ce sont les trafiquants de bois qui se montrent les plus menaçants.»

Déjà des dégâts

Les ONG françaises sont particulièrement mobilisées.

V. C.:
«C'est que de nombreuses entreprises françaises ayant des capitaux de l'Etat sont impliquées. Pour ce qui est de Jirau, le plus grand barrage des Amériques, GDF Suez détient plus de 50% des capitaux, ce qui lui a valu une nomination au "Public Eye Awards" couronnant l'entreprise la plus irresponsable en matière d'environnement.
Et c'est la société Alstom qui fournit du matériel, notamment les turbines, pour Belo Monte avec un contrat d'au moins 500 millions d'euros. La société civile française se mobilise pour faire pression sur le gouvernement français pour qu'il n'investisse plus dans des projets aussi décriés par le droit international. D'autant plus qu'au Sommet de la Terre Rio +20 il s'agira de convaincre tous les Etats investisseurs de se positionner sur la politique énergétique brésilienne, puisqu'ils y collaborent et font de l'argent sur le dos de l'Amazonie.»

Entretemps, s'il y a eu grève, c'est que les travaux de Belo Monte ont bien commencé.

V. C.:
«Douze mille ouvriers y travaillent jour et nuit. D'après de récents retours des Indiens et des gens qui vivent dans la région, l'eau est déjà devenue complètement turbide, rouge, ils ne peuvent plus ni pêcher, ni se laver. Ils subissent les conséquences avant même que le barrage ne soit finalisé.»

A terme, quelles conséquences prévoit-on sur ces populations?
V. C.:
«Le gouvernement se propose de les reloger dans de nouveaux villages en périphérie des villes – des réserves, en somme. J'ai eu un échange de courrier avec le gouvernement brésilien, et je peux vous assurer qu'il a la volonté de les parquer en leur offrant l'accès à l'école et aux soins. Mais dès lors qu'ils n'auront plus accès à leurs propres ressources vivrières, ils deviendront dépendants de l'Etat. C'est une façon de les acculturer qui porte un nom: ethnocide – on tue une culture, on en fait des peuples assistés qui meurent à petit feu. N'ayant plus de repères ni de culture, se nourrissant d'une alimentation qui ne leur convient pas, ils développent des maladies et des taux de suicide faramineux.»

Existe-t-il donc des alternatives à Belo Monte?

V. C.:
«Oui. Plusieurs rapports en proposent, notamment celui du WWF. Il y a un potentiel très important pour le solaire et l'éolien en mer. Et, si le Brésil tient absolument à produire de l'énergie avec ses fleuves et ses rivières, il peut développer la technique des barrages dits "au fil de l'eau", qui, sans réservoirs, permettent de protéger la faune aquatique, la biodiversité et les habitants. Déjà, en respectant les directives de la Commission mondiale des barrages, le pays pourrait améliorer sa production d'électricité.»

Pensez-vous que le gouvernement brésilien utilise le projet pour se débarrasser des Indiens?

V. C.:
«Non, je ne dirais pas ça. Mais ce qui est certain, c'est que les autorités brésiliennes sont fermement décidées à développer industriellement l'Amazonie, et elles le feront sur le dos des Indiens. Elles ne cherchent nullement à protéger ces cultures. Pour les autorités, le Brésil doit devenir moderne, et s'il faut passer par un ethnocide il passera par un ethnocide. Le seul problème que cela leur pose, c'est qu'elles sont en porte-à-faux avec leurs engagements internationaux, par rapport aux gaz à effet de serre et aux droits de l'Homme. On n'est plus en 1975, et les peuples autochtones ont, depuis 2007, des droits officiels reconnus par une déclaration officialisée de l'ONU et acceptée internationalement. En fait, le fonctionnement actuel du Brésil est complètement obsolète.
Ce grand projet industriel qu'est devenue l'Amazonie a généré une sorte de panique auprès des écologistes du monde – il s'agit tout de même du poumon de la Terre. Actuellement, l'Amazonie cristallise l'affrontement de deux grandes forces antinomiques, de deux façons de voir le monde, de deux projets de société.
D'un côté, le projet productiviste, appliqué en Amazonie, poursuit un développement et une croissance au prix de l'Homme et de la nature. S'y opposant, une prise de conscience internationale citoyenne tente, aussi en Amazonie, notamment à travers le combat contre Belo Monte, de démontrer que ces vieilles méthodes sont dangereuses pour la région et l'humanité et qu'il faut, par conséquent, se mettre à réinventer.» 

© lejeudi.lu

 


 

*Valerie Cabanes est juriste et chercheuse indépendante en droits de l'Homme, en particulier en droit des peuples autochtones, elle apporte son assistance bénévole à des associations, comme Survival International, la Fondation France Libertés (de Danielle Mitterrand), Planète Amazone et l'Association pour les peuples menacés (en Suisse). 

Date de l'article : 09/06/2012

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